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Avec la même bonne grâce qu’il avait mise à nous confier les lettres d’Elvire que nous avons publiées ici même[1], M. Charles de Montherot nous a autorisé à prendre copie de ces lettres entièrement inédites et à les mettre sous les yeux des lecteurs de cette Revue. Elles constituent un document d’une importance qui n’échappera à personne, puisqu’elles se rapportent à ces années 1819 et 1820 qui sont pour Lamartine l’époque privilégiée. Elles nous content l’histoire de son mariage d’une façon sensiblement différente de celle qui s’est accréditée. Elles nous font pénétrer dans l’intimité de son cœur et vivre plusieurs mois de sa vie. Elles ajoutent à sa correspondance déjà publiée un chapitre des plus curieux et qu’on avait toujours déploré de ne pas connaître : celui des lettres à la fiancée. Elles sont d’ailleurs telles qu’on pouvait les attendre pour le charme de l’expression, l’élévation des sentimens, et la distinction du tour. Et puisqu’elles ne contiennent aucun détail qu’il fût indiscret de nous livrer, qui donc ne souhaiterait de les lire, ces lettres où le poète, entre deux Méditations, confiait ses inquiétudes présentes et ses projets d’avenir à la jeune fille dont il avait résolu de faire la compagne de sa vie ?


LES MOIS DE TRISTESSE ET D’ATTENTE


L’année qui suivit la mort de Mme Charles est, de toutes manières, une des plus douloureuses qu’ait passées Lamartine. Séparé de celle dont la présence peuplait pour lui l’univers, et privé de cet amour qui avait empli son cœur et occupé son imagination, il se retrouvait, l’illusion déchirée, en face de la réalité : elle lui apparut telle qu’elle était, c’est-à-dire infiniment pénible. Il entrait dans sa vingt-neuvième année : il ne savait que faire de lui-même et de sa vie. On ne lui avait pas permis de prendre l’état militaire, pour lequel il se sentait quelque goût ; il ne lui fût jamais venu à l’esprit que la littérature pût être une carrière ; il s’était tourné vers la diplomatie, parce que c’était à peu près l’unique débouché pour un jeune homme de bonne famille et qui d’ailleurs n’avait pas d’aptitudes spéciales. Mais, en dépit d’incessantes démarches, il en était encore à se leurrer de vagues promesses. Il lui fallait chaque année, après de brefs

  1. Voyez la Revue du 1er février.