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dynasties d’origine étrangère ; les Japonais sont des cousins pour le moins aussi proches des Chinois que l’étaient les Mandchoux, et la puissance militaire dont ils disposent est autrement formidable, leurs succès autrement prestigieux ! Pourquoi l’empereur du Japon ne viendrait-il pas, comme un nouveau Tchinguiz-khan, s’asseoir sur le trône des Tsing tombé en quenouille pour en relever l’éclat et en fortifier l’indépendance ? C’est une idée que, dans toute la Chine, on discute ouvertement et dont les mandarins et les gens éclairés parlent sans indignation, souvent même avec une satisfaction à peine dissimulée. Une domination japonaise apparaît à beaucoup de Chinois comme le terme naturel et souhaitable de l’évolution actuelle de l’Empire.

Parmi ceux que pourrait effrayer l’idée d’une dynastie étrangère, beaucoup se plaisent à penser qu’à la mort de l’Impératrice douairière le moment serait bien choisi pour rendre le trône à une dynastie nationale, et ils pensent que, sous la protection et avec l’aide des Japonais, l’avènement de Yuan-Chi-Kai serait de nature à satisfaire à la fois le nationalisme chinois et le sentiment d’une réforme nécessaire. A chaque grande évolution sociale de la Chine a correspondu un changement de dynastie : celle des Tsing a fait son temps ; elle pourrait s’éteindre dans la personne de Tze-Hi. Le vice-roi du Tche-li, chef de la seule armée organisée qu’ait actuellement la Chine, laisse dire, cultive l’amitié japonaise et attend son heure. Dans le Ho-nan, dont Yuan est originaire, on fait circuler des généalogies qui rattachent sa famille à une maison de princes souverains du pays à l’époque où la Chine était divisée en plusieurs royaumes ; le bruit de son élévation prochaine est commenté sans défaveur parmi le peuple et parmi les fonctionnaires ; enfin, symptôme significatif, Kang-Yu-Wei, le réformateur de 1898, dont la tentative fut, on s’en souvient, arrêtée par l’intervention de Yuan et de ses troupes, dont les amis et les partisans furent mis à mort par les bourreaux de Yuan, ce même Kang-Yu-Wei fait campagne en faveur de son ancien ennemi et déclare qu’une révolution qui le porterait au trône aurait toutes ses sympathies. Souple et énergique en même temps, capable de mûrir longtemps un dessein d’ambition effrénée et de le réaliser au bon moment, Yuan s’est fait remarquer, en 1898, par son dévouement à l’Impératrice, et, en 1900, par sa fermeté à maintenir l’ordre dans le Chan-toung, si bien que, dit-on, au