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au Japon et serait spécialement chargé de maintenir parmi ces jeunes « intellectuels » le respect de la dynastie et de l’ordre ; ce mandarin a la haute autorité sur les groupes d’étudians des différentes provinces, et les directeurs de chaque mission doivent se tenir en relations avec lui et prendre ses ordres. Mais, au Japon, pareille surveillance est dépourvue de sanction ; les étudians se groupent en sociétés secrètes, en clubs réformateurs et, avec la connivence de leurs camarades japonais, ils préparent la rénovation de la Chine en conspirant avec les associations révolutionnaires de l’Empire et en préparant l’avènement d’un régime où leurs professeurs d’aujourd’hui pourraient bien devenir leurs maîtres de demain.

Les Japonais ont imaginé dernièrement un nouveau moyen de propagande ; ils envoient, surtout dans les provinces de la Chine du Sud, au Fo-kien et au Kouang-toung, des bonzes ou de prétendus bonzes bouddhistes japonais qui élèvent ou achètent des pagodes, s’y installent et font de la propagande pour la gloire et le commerce du Japon ; ils étudient la région et ses ressources pour y introduire les marchandises de leur pays et en chasser les articles européens. La présence de ces étranges personnages semble inquiéter les populations ; au Fo-kien, en janvier dernier, les paysans ont incendié une de leurs pagodes ; les représentans du Mikado profitèrent de cet incident pour réclamer, pour leurs bonzes, la même protection dont jouissent les missionnaires chrétiens et spécialement les protégés de la France ; cette fois, le gouvernement de l’Impératrice osa résister : il envoya aux vice-rois une circulaire les invitant à ne pas se prêter à l’installation de ces bonzes : le bouddhisme est venu jadis de Chine au Japon ; il n’y a donc aucune raison pour que des missionnaires japonais viennent faire de la propagande en Chine. On a récemment signalé le départ de bonzes chinois qui vont étudier au Japon.

Ainsi s’opère rapidement, par tous les moyens que découvre l’ingéniosité nippone, la compénétration de la Chine et du Japon. Le vieux personnel gouvernemental disparaît, et partout il est remplacé par des Chinois, ou même des Mandchoux, progressistes, c’est-à-dire japonisans. Chaque jour grandit l’influence du Japon : elle a pour corollaire la haine des étrangers.