Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’unisson des autres nations de race blanche et de civilisation chrétienne ; sa défaite par un peuple jaune aura achevé de l’européaniser. La Chine, elle, attend un Pierre le Grand : ouvrant ses frontières à tous les bienfaits que les civilisations étrangères peuvent apporter à son pays, il lui assurera sa place parmi les grandes puissances et, d’un immense agrégat de communautés agraires et de vies particularistes, il constituera une nation. On risquerait, en poussant trop loin la comparaison, de tomber dans le paradoxe ; mais, à la condition de ne pas l’exagérer, l’analogie est réelle : elle rappelle les origines semi-asiatiques de la Russie et la double façade qui fait d’elle un État européen d’un côté, et de l’autre une autocratie asiatique.

Depuis la guerre de 1894-1895, où les Japonais lui démontrèrent, en la battant sans difficulté, la supériorité de la civilisation européenne qu’ils venaient d’adopter, la Chine s’ouvre peu à peu aux méthodes et aux machines étrangères ; les Grandes Murailles qui l’isolaient du reste du monde, comme un prodigieux anachronisme, s’effondrent. Il n’y a guère plus de dix ans, elle opposait la force d’inertie de son tranquille dédain a toutes les entreprises exotiques ; satisfaite de contempler ses propres vertus dans ses vieux philosophes et dans ses vieilles annales, elle méprisait, comme des inventions diaboliques, tout ce qui venait des « Barbares de la mer, » et maintenant elle se met à l’école de l’étranger ! La crise de 1900 n’a été qu’une secousse passagère, la dernière résistance à une révolution inévitable dont elle n’a fait que précipiter le triomphe. La guerre actuelle fait taire les dernières répugnances de la Chine d’autrefois ; nous approchons du moment décisif où l’Empire du Milieu orientera décidément vers des destins nouveaux son existence nationale : ce ne sera pas l’un des moindres résultats des grandes batailles de Mandchourie.

Nous nous demandions ici, dès 1897, en présence des premiers signes de la rénovation de la Chine, sous quelles influences extérieures elle évoluerait et à qui reviendraient les bénéfices de la mise en valeur de ses richesses ; nous montrions les avantages que le Japon tirerait de ses victoires et ceux que les puissances européennes, et principalement la Russie, la France et l’Allemagne, devraient à leur intervention de 1895, et nous laissions prévoir l’éventualité déjà redoutable d’un conflit entre la Russie et le Japon. Nous touchons aujourd’hui au dénouement