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qu’autrefois dans l’étude de Me Terme. Je le remerciai du soin qu’il avait pris de me faire rechercher dès mon arrivée par son collaborateur Raoul Rigault, et je témoignai ma surprise d’avoir été si promptement retrouvé par ce zélé fonctionnaire.

— Raoul Rigault ! me dit Dubost, c’est mon meilleur commissaire de police.

Nous causâmes de Lyon, des difficultés qu’y rencontrait le nouveau préfet, des empiétemens de la Commune révolutionnaire, des arrestations arbitraires, de la nécessité de rétablir le respect des lois et l’autorité du pouvoir central.

Dubost insista sur l’urgence d’un entretien avec les ministres de l’Intérieur et de la Justice ; il me donna rendez-vous chez ce dernier. Je le quittai après qu’il m’eut, en passant, présenté à son préfet le comte de Kératry.

A deux heures, j’étais place Vendôme, et j’entrais au ministère de la Justice. Je fus introduit aussitôt dans le cabinet du ministre. Perdu dans un large fauteuil, sa tête crépue reposant sur son bureau, un vieillard rabougri somnolait : c’était l’avocat Crémieux, garde des Sceaux de la Défense nationale.

A côté de lui siégeait Antonin Dubost qui faisait l’intérim du ministre endormi. Tout en feuilletant un dossier, il interrogeait un personnage orné de la rosette d’officier de Légion d’honneur, et cet interrogatoire semblait celui d’un accusé.

S’interrompant à mon arrivée :

— Cela suffit, monsieur, dit-il. Vous pouvez vous retirer.

Puis se penchant vers moi, tandis que s’éloignait l’homme à la rosette :

— C’est, me dit-il, un premier président.

Crémieux s’était réveillé et levait sur moi des yeux percés à la vrille aux côtés d’un nez camus.

Après les présentations, j’exposai au garde des Sceaux l’objet de ma visite ; je lui fis le récit des événemens qui venaient de s’accomplir à Lyon ; j’insistai sur ceux qui devaient particulièrement retenir son attention ; je lui parlai du cours de la justice interrompu, des arrestations arbitraires, des incarcérations de magistrats, de son procureur général enfermé à la maison d’arrêt.

Et le vénérable Crémieux, que le temps de sa jeunesse paraissait intéresser davantage, m’interrompait pour me raconter ses souvenirs d’autrefois.