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duire politiquement au Maroc. Sans les circonstances dont elle use d’une main si ferme, elle n’aurait pu, avec les seuls moyens dont elle dispose, rien faire de très efficace au Maroc, et le jour où, lassés nous-mêmes de lui servir d’introducteurs dans l’empire chérifien, nous déclarerions hautement nous désintéresser d’une entreprise où toutes nos espérances ont été déçues, sa propre force serait réduite à peu de chose : et c’est peut-être ce dont nous ne nous sommes pas suffisamment rendu compte au premier moment. L’Allemagne ne peut agir au Maroc que contre nous, ou avec nous. Quoi qu’il en soit, au lieu de nous retirer purement et simplement de l’affaire, nous y sommes restés engagés avec elle dans un compagnonnage étroit, et même dans des conditions qui ressemblent à la première esquisse d’un condominium. Cela peut nous conduire beaucoup plus loin que nous n’avons l’intention d’aller, et jusqu’à un point où, si nous voulons reculer, il ne sera peut-être plus temps de le faire. De là les appréhensions qu’il nous est impossible de ne pas concevoir. Nous avons voulu aller seuls au Maroc, avec l’assentiment d’un certain nombre de puissances, parmi lesquelles nous avons eu tort d’oublier l’Allemagne ; mais n’est-ce pas passer d’un extrême à l’autre que de ne voir qu’elle aujourd’hui, et de combiner notre jeu avec elle comme si le reste du monde n’existait pas, ou devait s’incliner devant nos communes décisions ? Il y a eu là un défaut de mesure. Que nous soyons allés à la conférence, soit. Il y avait des inconvéniens à le faire, mais il y avait peut-être impossibilité à s’en abstenir. L’Allemagne s’était lancée trop à fond dans cette voie pour pouvoir s’arrêter, et, si nous lui avions opposé un refus de l’y suivre, qui aurait été accompagné de celui de plusieurs autres puissances, elle aurait difficilement digéré un pareil échec. Nous l’avons déjà dit, pour que cette affaire ne laissât pas entre les deux pays des traces funestes, il fallait qu’il n’y eût ni vainqueur, ni vaincu, et que, de part et d’autre, la dignité fût sauve. Mais l’acceptation de la conférence suffisait à ce résultat, celle-ci étant essentiellement chose internationale, il semblait logique d’étendre ce caractère à sa préparation elle-même. Le but aurait été atteint pareillement, et les moyens employés auraient été à la fois plus corrects et moins compromettans.

En tout cela, nous n’avons eu qu’à nous louer de l’Angleterre. Son attitude à notre égard a été d’une loyauté parfaite. On a pu craindre au début qu’elle ne prît le parti, ou de nous abandonner à notre propre fortune, puisque les conditions dans lesquelles nous nous étions réciproquement engagés étaient sensiblement modifiées, ou de nous