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d’avance à son œuvre une durée de quelques années, peut-être même de quelques mois. Il aurait été logique aussi, puisqu’on avait recours à une conférence internationale, de lui laisser le soin de prendre, à cet égard, les résolutions qui lui sembleraient les meilleures : et, au surplus, nous ne voyons pas très bien comment on pourrait l’en dépouiller par avance. On nous a dit à Berlin, et même avec quelque brusquerie, que les arrangemens que nous avions conclus avec l’Angleterre, ou l’Espagne, ou l’Italie, ne liaient que ces puissances et nous, ce qui était d’ailleurs parfaitement vrai. Aujourd’hui, la situation est complètement retournée, et c’est la conférence, lorsqu’elle se réunira, qui aura le droit de dire que les arrangemens conclus entre l’Allemagne et la France ne lient que la France et l’Allemagne : les autres restent libres de les ignorer ou de s’en affranchir.

Ici se présente notre seconde observation. Pourquoi, puisque toutes les puissances sont mises sur le pied de la plus parfaite égalité en ce qui touche le Maroc, pourquoi deux d’entre elles, la France et l’Allemagne s’arrogent-elles le mandat, que personne ne leur a confié, de préparer à elles seules le programme de la conférence ? N’y a-t-il pas là quelque empiétement ? On dira peut-être que la France représente naturellement les puissances avec lesquelles elle a traité, et que l’Allemagne représente les autres ; mais, si cela est vrai de la première, en est-il de même de la seconde ? L’Allemagne ne s’est entendue, que nous sachions, avec personne, et c’est de sa propre autorité qu’elle a pris le rôle prépondérant qu’on la voit jouer aujourd’hui. Au reste, nous ne donnons à notre observation que l’importance qu’elle mérite, et, puisque les autres puissances laissent faire, c’est qu’elles consentent. Elles ont même été plus loin : la plupart d’entre elles ont suivi l’exemple de l’Angleterre, qui s’est déclarée prête à se rendre à la conférence, à la condition toutefois que le programme lui en serait communiqué d’avance, et, assurément, il n’y a pas là une prétention exagérée. Il est même probable que, si elle ne s’était pas liée avec nous par des engagemens qui l’amènent à conformer sa politique à la nôtre, l’Angleterre ne se montrerait pas si coulante. Elle ferait remarquer, et personne ne pourrait le contester, qu’elle a au Maroc une politique ancienne et très active, justifiée par des intérêts infiniment supérieurs à ceux de l’Allemagne : d’où elle conclurait sans doute qu’elle a aussi un droit supérieur à s’occuper du programme de la conférence. L’habileté de l’Allemagne a été d’exercer sur nous une pression qui se transmet par notre intermédiaire sur les puissances déjà d’accord avec nous, et c’est par ce moyen qu’elle cherche à s’intro-