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pour lire le décret de clôture de la session. L’amnistie est restée en suspens, puisque, votée par une Chambre, elle ne l’a pas été encore par l’autre. Le sera-t-elle jamais définitivement ? Il serait téméraire de vouloir en préjuger. En attendant, M. Rouvier a présenté à la signature de M. le Président de la République des décrets portant la grâce de tous les condamnés. La grâce n’est pas la même chose que l’amnistie : néanmoins les deux mesures, quelque différentes qu’elles soient, rouvraient aux exilés la porte de la patrie, et il faut bien avouer que ce qui excitait en faveur de M. Déroulède, par exemple, une sympathie générale était la pensée que, depuis plus de cinq ans déjà, il expiait sur la terre étrangère une faute dont nous ne méconnaissons pas la gravité, mais qui ne méritait certainement pas une punition aussi longue ni aussi dure. Sa rentrée en France aurait soulagé la conscience publique. Mais, dira-t-on, pourquoi n’y rentre-t-il pas, puisqu’il peut le faire, et le faire dignement ? Il n’a pas sollicité la grâce qui lui a été accordée : que n’en profite-t-il ? À dire vrai, nous ne savons pas quel scrupule l’en empêche ; mais ce scrupule est certainement honorable, et nous faisons une grande différence entre M. Buffet et M. de Lur-Saluces, qui sont revenus en injuriant M. le Président de la République, et M. Déroulède, qui est resté au-delà de la frontière en gardant pour lui le secret de ses angoisses. Il y a dans son abstention et dans son silence plus de dignité et de bon goût que dans les manifestations bruyantes des autres graciés. Et cela augmente les regrets qu’excite le triste avortement de l’amnistie. C’est la pierre du tombeau qui se soulève sur le malheureux pour lui donner l’illusion de la vie et de la lumière, et qui, en retombant, le replonge dans la nuit.

Mais à qui la faute, sinon au gouvernement ? Autant nous approuvons M. Rouvier d’avoir fait au dernier moment ce qu’il devait faire, lorsqu’il a vu que l’amnistie était en danger, autant nous désapprouvons le sentiment qui lui a fait confondre pêle-mêle dans une même mesure les condamnés de la Haute-Cour, les grévistes de Limoges, et les délateurs. Si c’est l’apaisement qu’il voulait, il a pu voir qu’il n’avait pas pris le meilleur moyen de l’obtenir. Il y avait dans le projet de loi un article sans précédens : c’est celui qui étendait l’amnistie aux faits qui avaient entraîné non seulement des « sanctions pénales, » mais encore des « sanctions disciplinaires. » Des sanctions pénales, passe encore ! L’amnistie, en proclamant l’abolition du fait qui y a donné lieu, doit les faire disparaître, et c’est bien ainsi qu’on l’a toujours entendu. Mais les sanctions disciplinaires ont un