Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute, le Panchen-Rimpoché a manifesté dans ces dernières années des tendances évidentes vers le progrès, mais qui peut affirmer qu’une fois monté à ces hauteurs, la tête ne lui tourne, et qu’il ne cause des déceptions à ses amis et protecteurs ? D’autre part la nouvelle union contractée par l’Angleterre et la Chine pour maintenir leur influence au Thibet peut se développer, et tourner au bénéfice de la Chine comme aussi l’établissement du protectorat anglais en ce pays peut être gros de dangers pour le gouvernement chinois. A un autre point de vue, le Thibet qui s’étend à la porte du Se-Tchouen et domine le fleuve Bleu est pour l’Angleterre une position excellente pour défendre contre les entreprises de tout autre peuple le bassin de ce fleuve Bleu, dont elle est si jalouse, et le conserver dans sa dépendance au moins économique ; et si la Chine se montrait définitivement incapable de résister ensemble aux ennemis extérieurs qui l’assiègent de toutes parts, et aux maux intérieurs qui la rongent, les Anglais ne seront que trop placés pour faire entrer dans leur sphère d’influence le bassin de ce fleuve sur lequel ils ne dissimulent plus leurs visées.

Mais, en dehors de cette éventualité problématique et plus ou moins lointaine, la possession du Thibet a dès maintenant pour l’Angleterre un intérêt certain et immédiat. Elle la débarrasse de toute inquiétude relative à la possibilité de l’ingérence d’une puissance européenne dans les affaires thibétaines. Elle clôt à son profit l’un des épisodes de la lutte d’influences qui se poursuit dans toute l’Asie Centrale entre les deux grandes puissances européennes de l’Asie. C’est l’avortement des projets dont le bouriate russe Djorgieff avait été l’agent. Trop absorbée ailleurs par une lutte gigantesque, la Russie a dû s’effacer, pour le moment du moins, devant sa rivale. Il est juste de remarquer d’ailleurs que la mainmise actuelle de l’Angleterre sur le Thibet a été le résultat de mesures et d’actes que, depuis un siècle et demi, a pris la politique anglaise pour assurer la sécurité de la frontière au Nord-Ouest de l’Inde. Cette politique a consisté, nous l’avons montré, à créer de tous côtés sur cette frontière des États indigènes tampons, soumis à l’influence britannique, de manière à ne se trouver nulle part en contact immédiat par une frontière continentale avec une grande puissance militaire. C’est ainsi qu’elle a été amenée à étendre son protectorat sur le Baloutchistan, à pensionner l’émir d’Afghanistan et à faire