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Le matin du 5 décembre 1783, M. Turner fut introduit devant le jeune Grand-Lama de Taschi-lumbo, au monastère de Terpaling, qu’on venait de construire exprès pour ce dernier. Le taschi-lama avait été placé pour la circonstance sur son musmud, pile de coussins de soie formant un trône de quatre pieds de haut, couvert d’un tapis brodé et de soieries de diverses couleurs pendant sur les côtés. A sa gauche étaient son père et sa mère ; à sa droite, l’officier chargé des soins particuliers à lui donner, et dans la salle 300 gylongs chargés de faire le service religieux auprès de lui. Le taschi-lama n’avait alors que dix-huit mois ; il avait l’air très intelligent, le teint animé, les traits réguliers, les yeux noirs, une physionomie heureuse et il parut à M. Turner un des plus beaux enfans qu’il eût jamais vus. Il n’avait pas encore l’usage de la parole, mais son père fit remarquer à M. Turner qu’il pouvait agir avec le taschi-lama comme avec une grande personne, et que, bien que l’enfant ne fût pas en état de répondre, il était certain qu’il comprenait tout ce qu’on lui disait. L’ambassadeur d’Hastings s’avança alors et présenta au jeune taschi-lama une écharpe de soie blanche, don du gouverneur du Bengale, que l’enfant prit sans précipitation de sa main, tandis que le reste des présens était déposé à ses pieds. Le jeune taschi-lama regarda ces présens avec intérêt, parut très satisfait des hommages des envoyés anglais et, tout le temps qu’ils restèrent dans son appartement, eut les yeux presque continuellement fixés sur eux. Lorsqu’ils eurent bu le premier thé qu’on leur présenta, il parut mécontent de ce que leurs tasses étaient vides, fronça le sourcil, pencha sa tête en arrière et fit du bruit jusqu’à ce qu’on leur en eût servi du nouveau. Prenant une coupe d’or, dans laquelle il y avait des confitures sèches, il en tira un peu de sucre brûlé qu’il leur envoya par l’un de ses officiers. M. Turner lui ayant dit ensuite « que le gouverneur général du Bengale ayant appris la nouvelle de sa mort avait été accablé de chagrin et avait continué à le regretter jusqu’au moment où le nuage qui avait obscurci le bonheur de la nation thibétaine, avait été dissipé par son retour à la vie, et qu’il espérait que le Grand-Lama continuerait à montrer de la bienveillance envers sa nation et étendrait les liaisons de ses sujets avec ceux du gouvernement anglais, » le jeune taschi-lama fit plusieurs signes de tête qui semblaient donner à entendre qu’il comprenait et approuvait ce qu’on lui disait. Tout le reste de l’entrevue, il