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des statuettes, toute espèce d’objets pieux : après quoi, on délie les câbles et on lance à l’aventure, vers la haute mer, le navire mystique, chargé des offrandes de tout un peuple.

N’est-ce point l’image allégorique de ce qu’a fait Apulée dans son œuvre ? A l’aube des siècles barbares, il y a embarqué, comme sur une arche de salut, tout l’héritage de la civilisation antique. Il y a entassé pêle-mêle le meilleur et le pire. En regard des corruptions de la décadence, il a placé les vertus religieuses et morales qui annonçaient la rénovation prochaine… Tout ne sombrera pas au cours du voyage. Son âne symbolique atterrira sur nos plages ; et, aux jours de Noël ou de Pâques, il fera son entrée dans nos cathédrales, acclamé par la joie populaire, salué par les sons de l’orgue et par les cantiques de la foi nouvelle…


V
RECONNAISSANCE A L’AFRIQUE

J’ai quitté Carthage et Tunis par un temps calme, sous une lune épanouie et trop belle qui découpe en clair les crêtes des montagnes et les sinuosités des rivages. Je n’aperçois plus le dôme de Saint-Louis sur la colline de Byrsa ; les dernières lueurs du phare de Sidi-bou-Saïd viennent de s’éteindre. Nous sommes sortis du golfe. Devant nous, derrière nous, ce sont les brumes confuses du large.

Il est près de minuit : tout le monde dort sur le paquebot. J’abandonne l’entrepont, où les graillons des cuisines, les résidus huileux de la salle des machines me poursuivent de leur odeur écœurante. J’atteins la passerelle des secondes. Elle est déserte, comme le tillac d’avant. Rien que des corbeilles de primeurs arrimées au bordage et qui ondulent vaguement jusqu’au pavillon de la proue. Les bancs ont été encapuchonnés de toiles, pour les préserver de l’humidité nocturne. On n’entend que le battement de l’hélice. La quille du navire glisse au milieu des eaux illuminées et silencieuses, comme dans des étoffes molles et moirées d’argent, où le sillage fait une déchirure d’or, sous le tremblement des reflets lunaires. A la pointe des mâts, de petites lanternes luisent si faiblement qu’on dirait des étoiles prises aux cordages des hunes.