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Rome et incarcéré à Fenestrelle. La noblesse se sentit atteinte : elle se tut, mais attendit l’heure. Et on le sentait.

La bourgeoisie, que décime la disgrâce des hommes de loi, est hargneuse : ses représentans au Conseil municipal mènent l’opposition. Quant au peuple, privé des couvens hospitaliers, il est dans une misère sur laquelle s’accordent vingt témoignages. Il demande du pain, mais les mendians refusent d’entrer dans le magnifique dépôt de mendicité que l’Empereur a voulu leurs ouvrir. Dans les provinces, on signale des complots étouffés.


C’est sur ces entrefaites que, le 26 décembre 1812, fut répandu à Rome le célèbre vingt-neuvième bulletin de la Grande Armée, par lequel Napoléon annonçait lui-même, avec une franchise qui ne manquait pas de grandeur, la ruine totale de son armée en Russie. Une foule énorme envahit le Corso, qui cachait mal sa joie. Une immense lézarde courait ainsi d’un bout à l’autre du monument impérial.

Le 1er février 1813, un voyageur, qui semblait hors de lui, dut faire halte à Albano, car sa voiture surmenée s’était brisée en route. Informé de la présence, à une heure de Rome, de ce mystérieux personnage, Miollis courut à Albano. Il trouva un homme sombre et agité qui, en termes amers et avec des détails terrifians, confirma le désastre de Russie et les menaces suspendues sur l’Empire. Son équipage réparé, le voyageur repartit pour Naples, à une folle allure, car il brisa encore sur le pavé de la voie Appienne sa malheureuse voiture. Miollis rentra doublement impressionné à Rome, car si les nouvelles était mauvaises, le messager, qu’il avait vu aigri jusqu’à l’exaspération, n’était autre que Murat, regagnant son royaume Napolitain, tout en roulant dans son cerveau les premiers desseins de trahison. De ce jour les hauts agens de Rome qui, depuis trois ans, suivaient les sourdes intrigues de Joachim à Rome, le tinrent pour l’ennemi certain du lendemain.

A partir de l’hiver de 1813, l’Empire craqua de toute part. A Rome, on tente de donner le change : pas de mois où l’on ne chante un Te Deum pour les victoires de l’invincible Empereur en Saxe. Personne n’y est pris : sur le Pasquino, longtemps réduit au silence, on affiche, la tête en bas, les bulletins optimistes de victoire : la raillerie romaine reprend ses droits.

On avait dû rappeler en Allemagne presque toute la garnison