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sorte de personnage surnaturel : à Rome, des lambeaux de ses vêtemens ressuscitaient des morts, il apparaissait à des illuminés.

Les prêtres n’en demandaient pas tant. Savone avait parlé. Non seulement tous les prêtres refusèrent de prêter le serment, mais beaucoup d’assermentés se rétractèrent en chaire, pour s’aller d’ailleurs livrer, au sortir de l’église, à la gendarmerie.

Au 15 août, au 2 décembre, aux fêtes célébrées pour le baptême du Roi de Rome, plus de cent curés refusèrent de chanter le Te Deum. Le peuple hait les jureurs, quitte l’église quand ils disent la messe. Ce peuple devient irritable : le Christ du Colisée ayant été nuitamment mutilé, on craignit une émeute. Tous les fléaux, les sauterelles de 1810, les tremblemens de terre de 1811 et 1812 deviennent à ses yeux des punitions du ciel. Les Madones et les Christs ouvrent, dit-on, les yeux, spectacle terrifiant. Les prêtres, les moines surtout, vagabonds ou retirés dans tous les villages de la province, soulignent ces faits. « Une journée de prêtre, écrit Norvins, détruit tout ce que l’on a cru établir eu un mois de travail. »

Les déportations continuaient. Plus de 600 prêtres furent conduits en Corse de 1811 à 1814. L’Empereur, profondément blessé dans son amour pour Rome par la « scandaleuse résistance » que, « seule en France, » Rome faisait à son pouvoir, et exaspéré de la « situation ridicule » où le mettaient « ces scènes de Rome, » passait presque, vis-à-vis de ce pays, jadis si aimé, de la tendresse à la haine. Tournon le voit à Compiègne à cette époque : « Dites-leur que je ne leur dois rien, que je ne leur dois que la mort ! » et au Conseil d’État, il se livre à de violentes déclamations contre « ce jeu insultant » que « seule l’indulgence a encouragé. » Il y fait préparer contre les insermentés le terrible décret du 4 mai 1812 qui livre les « coupables » aux commissions militaires, les condamne à la déportation et à la confiscation des biens.


Le décret n’atteint point que des prêtres. Le pis est, en effet, qu’on a exigé le serment non seulement des ecclésiastiques, non seulement des officiers municipaux qui, en grand nombre, s’y sont dérobés, mais des citoyens les plus variés. Les hommes de loi au nombre d’un millier, ont refusé de s’y soumettre : ils sont déclarés déchus de leurs charges, puis quelques-uns des plus coupables déférés aux commissions et déportés. Les professeurs