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phrases : « Charlemagne, notre auguste prédécesseur… mélange d’un pouvoir spirituel avec une autorité temporelle… monumens élevés par les Romains… ville impériale et libre… »

Puis, vers midi, sur la place où le grave Marc-Aurèle évêque le souvenir du César le plus populaire, se forme un brillant cortège. Un demi-escadron de cavalerie dans la prestigieuse et tintamarresque tenue des soldats de l’Empire s’avance, gagne la place de Venise, puis la place Colonna, puis la place du Peuple : les sabots arrachent des étincelles au rude et vieux pavé romain, décidément conquis. Dans le cliquetis des armes, un héraut, tout de rouge vêtu, costume héraldique, à cheval aussi, arrête le cortège à chacune des trois places. Les longues trompettes se dressent, jetant des éclairs sous l’ardent soleil de midi, emplissant de leurs fanfares le Corso en émoi, faisant résonner les vieux murs voisins, les temples antiques, les églises chrétiennes, les palais du patriciat. Puis une dernière note, un silence, le héraut déploie son parchemin au sceau impérial, et lit :

« De notre camp impérial de Vienne, ce 17 mai 1809… » C’est le décret de César qui, avec de fastueux considérans, rappelle Rome à la gloire des aïeux et à la « liberté » impériale. On entend quelques cris, la police de Saliceti courant les rues, « Evviva l’Imperatore ! » et le cortège se remet en route.

Le peuple hausse les épaules, fataliste : le bon droit triomphera, on a pour soi Jésus et la Madone. On murmure, — très bas, — des mots grossiers et de mystiques prophéties. Le lendemain on trouvera à la base du Pasquino les mots qui livrent le sentiment de ce peuple, à cette heure muet :


Capo ladro, questo Napoleone,
Persecutore della relligione,
Emulo de Nerone.


« Chef de bandits, ce Napoléon, persécuteur de la religion, émule de Néron. »


Une seule colline reste silencieuse : le Quirinal. Là s’élève le palais massif, caserne, prison, bien fait pour son emploi du jour. C’est là en effet que réside, volontairement reclus, depuis dix-huit mois, gardé d’ailleurs à vue, le souverain dont la déchéance se proclame de si éclatante façon. Pie VII a entendu les salves, attendues depuis tant de jours, dans une angoisse affreuse,