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montre le plus célèbre d’entre eux, le redouté comte Cristoforo Saliceti : cet ancien conventionnel, un des « régicides » de 93, un des proconsuls de la Terreur, présentement ministre de la police du roi Joachim Murat, un Fouché corse, à la fois souple et dur, rusé et osé, regagne à grand tapage le palais Farnèse où, à titre de ministre napolitain, il a pris demeure, et cet homme au teint bistré, qui promène sur la foule le regard de son œil noir, évoque, à la terreur générale, tout à la fois Robespierre et Bonaparte. Au palais Farnèse, il trouve nombreuse compagnie : les patriciens, effarés, sont venus aux nouvelles : la galerie, où Carrache a peint les amours des dieux, est encombrée de petits-neveux de papes. Saliceti leur donne audience ; il les interpelle, tantôt doucereux, tantôt hautain. Pourquoi « le baronnage » ne se rallierait-il pas franchement, dès la première heure, au nouveau pouvoir ? A quoi bon bouder, puisque, qu’on en croie ce jacobin devenu comte et ministre, on finit toujours par se rallier ? Il se promène de long en large, et soudain il se retourne vers le groupe perplexe où l’on aperçoit le superbe duc Braschi, neveu de Pie VI, le brillant duc Sforza Cesarini, l’opulent Buoncompagni, prince de Piombino, et bien d’autres. « La société, messieurs, leur déclare, en guise de conclusion, dans son dur italien de Corse, le ministre de Joachim, la société, apprenez-le, se divise en enclumes — incudini — et en marteaux — martelli. — Si vous refusez d’être les marteaux, craignez de devenir les enclumes. » Ils ne le craignent que trop, se rappelant l’effroyable oppression de 1798, les millions en espèces et en joyaux précieux qui leur furent arrachés, le pouvoir imprudemment abandonné à une bande de forbans de la demi-classe. Déjà ils se sentent très soumis, disposés à tout accepter sans jamais s’attacher… Le lendemain, Braschi sera maire de Rome au nom de l’empereur des Français, le neveu du dernier pape défunt !

Le peuple, cependant, reflue vers le Capitole. C’est toujours là qu’a été la « tête de la cité, » de Camille à Berthier : c’est là que ce dernier s’est « fait demander, » onze ans auparavant, la liberté par des citoyens assoiffés d’emplois.

A onze heures, au moment où s’entend encore l’écho du dernier des cent coups de canon, un groupe d’officiers apparaît au premier étage du palais Capitolin : un héraut impérial s’avance et lit un décret de style solennel ; on entend des lambeaux de