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En langage de Bourse c’est un titre « flottant, » « non classé » ou déclassé. Il est sorti du portefeuille, du coffre paisible de l’épargne et « porté » par les joueurs qui l’ont recueilli et lui font un sort, il mène une existence nomade. Lors des bourrasques financières, c’est lui, victime sans défense, qui supporte les premières avaries. L’an dernier, au moment d’une crise de ce genre, tandis que l’Égyptien et l’Italien, bien classés, ne bougeaient pas, l’Espagnol, l’Argentin et la rente française elle-même, — qui, depuis le ministère Combes, avait beaucoup de flottant, — éprouvaient une baisse sensible.

Qui donc a pu dire que la France n’avait pas aidé la Russie dans sa guerre actuelle ? Le seul fait par les Français d’avoir soigneusement gardé les fonds Russes, dont ils sont détenteurs, apportait au crédit de notre alliée un soutien efficace et inestimable. Nombre de boursiers, escomptant le déclassement probable de 500 millions ou d’un million d’emprunt Russe, sur les 7 milliards que nous possédons, se firent vendeurs à découvert. Calcul dangereux ; parce que, si le portefeuille ne se dégoûtait pas, ils s’exposaient à payer du « déport. »

En effet, lorsque les vendeurs sans titres sont beaucoup plus nombreux que les acheteurs sans argent, non seulement le report baisse et tombe « au pair, » — c’est-à-dire que l’acheteur profite gratis pendant un mois du revenu dont se grossit le titre, — mais même il survient du « déport. » Il faut louer réellement les titres à des propriétaires effectifs pour équilibrer les ventes et les achats à terme, de sorte que la généralité des vendeurs se trouvent payer aux acheteurs une certaine somme pour retarder la livraison du titre qu’ils ont vendu. En outre, les acheteurs touchent l’intérêt de ce titre, comme s’ils l’avaient entre leurs mains.

Cette situation bizarre s’est prolongée à Londres, sur les fonds Russes, de 1881 à 1887 : « Je les ai achetés à terme, disait plaisamment un banquier, je ne puis pas arriver à avoir les titres ; on me paie du déport depuis cinq ans. » De sorte que, sans avoir rien versé, il touchait, et les coupons, et un loyer de ces valeurs qu’il était censé prêter à son vendeur. Le même fait s’est produit récemment à Paris, où les vendeurs de Russe ont payé, chaque quinzaine, des déports qui équivalente un intérêt annuel de 15 p. 100. Le Panama a fourni des exemples analogues. Les baissiers, eussent-ils vu juste en principe, se ruinent