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compte. Il aidait les jeunes gens à son tour et, en échange des emplois qu’il leur procurait chez les agens ou dans la banque, ses protégés lui fournissaient de précieuses révélations sur les positions existant dans leurs charges. Après des alternatives de bonnes et de mauvaises chances, perdant sur l’Italien ce qu’il avait gagné sur le Turc, il faillit sauter dans les Mines d’or et se retira néanmoins avec une certaine opulence. Mais on le cite, son cas est rare.

« Souvenez-vous qu’à la Bourse 2 et 2 font rarement 4 ; encore moins 4 et 4 y font-ils 8, et jamais surtout 8 et 8 n’y font 16. » Le vieux routier qui donnait cet aphorisme comme l’unique règle de salut, entendait par là que le succès dépend beaucoup plus des facultés de résistance du spéculateur, que de la qualité intrinsèque des spéculations ; qu’il n’est si juste et si sage opération qui ne devienne mauvaise et dangereuse pour qui s’engage, non pas même jusqu’à la limite de ses forces, mais simplement au-delà de ce point redoutable où commence pour lui la peur.

Celui qui s’est chargé de façon à ne pouvoir supporter avec indifférence les paniques ou les emballemens des cours, quelque formidables et prolongés qu’ils soient, est un homme perdu. Son calcul, ses raisonnemens pouvaient être fondés au début ; ils le seraient encore, mais pour des chiffres moins enivrans. Avec sa mise doublée ou quadruplée, il ne calcule ni ne raisonne plus : il joue et, forcément, il joue mal. Or ce dernier cas est celui d’à peu près tous les boursiers, tellement est grande la tentation de forcer la dose.

Leur jeu toutefois est innocent et ne fait de mal qu’à eux-même. Ils n’ont point de prise sur les fonds d’Etat, ni sur les valeurs très répandues. Les capitaux ici sont trop lourds à remuer et les portefeuilles trop loin pour s’émouvoir. Aujourd’hui on change le chef de l’Etat avec un mouvement de 5 ou de 10 centimes ; on faisait autrefois des différences de 3 francs sur la simple chute d’un ministère. Les joueurs se sont donc réfugiés dans de petits compartimens : l’Extérieure espagnole, séparée du fonds national et comme « embouteillée » à l’usage de la spéculation pour lui servir de remorqueur, des valeurs industrielles telles que le Rio-Tinto ou la Sosnovice et le lot des mines d’or.

Suivant leur tempérament, les joueurs sont haussiers ou