Les Anglais, disons-le, manifestaient quelque étonnement de l’enthousiasme parisien, et plus d’un riait sous cape d’une prodigalité d’encens, bien propre à faire tourner la tête la plus solide et la mieux ordonnée. Lord Mareschal, intime ami de Hume, le met en garde contre ce danger : « J’espère, lui écrit-il[1], que les belles et grandes dames ne vous séduiront pas au point de nous renvoyer ici un petit-maître, adroit à faire de la tapisserie. Une coquette a bien induit Hercule lui-même à filer ! » Walpole a la plume plus mordante : « M. Hume est la seule chose au monde dans laquelle les Français aient une foi implicite ; et ils ont raison, car je les défie de comprendre un mot de ce qu’il dit, en n’importe quelle langue... M. Hume, reprend-il ailleurs, est la mode personnifiée, quoique son français soit presque aussi inintelligible que son anglais. » Ces appréciations sans bienveillance contiennent une part de vérité. Hume, en effet, était loin de briller par les dons extérieurs : sa parole était lourde, hésitante et embarrassée, sa tournure épaisse et massive, son visage dépourvu de finesse et de distinction. Il n’en est pas moins vrai qu’il rachetait amplement ces défectuosités physiques par ses hautes qualités morales, l’élévation de son esprit, la profondeur de ses pensées, la solidité de ses jugemens, et cette puissance d’observation qui paraissait dans sa conversation aussi bien que dans ses écrits, joignant, par une heureuse alliance, la clairvoyance aiguë de l’historien aux larges vues du philosophe. On vantait non moins justement la droiture de son cœur, son caractère à la fois ferme et doux, la constance de ses amitiés et la sûreté de son commerce. « Sa plaisanterie habituelle, dit un des hommes qui l’ont le mieux connu[2], n’était que la simple effusion d’une bonté naturelle et d’une gaîté tempérée par la délicatesse et la modestie ; mais il n’y entrait pas la plus légère teinture de malignité... Jamais il ne lui échappa une seule moquerie qui eût pour but de mortifier ; aussi ses railleries plaisaient-elles à ceux mêmes sur qui elles tombaient. » Tout, en lui, respirait, affirment d’autres témoignages, la candeur et la loyauté ; l’exemplaire pureté de sa vie pouvait faire présager la sérénité de sa mort, digne d’un des Sages de la Grèce[3].
- ↑ Letters of eminent persons, etc., passim.
- ↑ Lettre d’Adam Smith, écrite après la mort de Hume. Citée par Suard dans son Introduction aux Mémoires de Hume.
- ↑ Quelques instans avant sa fin et déjà presque en agonie, comme on tentait de le leurrer encore d’une espérance de guérison : « Non, non, répondit-il avec un sourire, je m’en vais aussi vite que mes ennemis, si j’en ai, peuvent l’attendre, et aussi doucement que mes meilleurs amis le peuvent désirer. »