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104 milliards de créances et de propriétés, émiettées sur papiers à vignettes, qui, juxtaposés, formeraient un ruban assez long pour faire le tour du monde, les valeurs mobilières sont loin d’avoir acquis chez nous l’importance qu’elles ont sur le marché anglais, où il s’en négocie près du double.

En France d’ailleurs, elles ne représentent pas le tiers de la richesse globale des citoyens. Si l’on en faisait l’inventaire, il y faudrait joindre la propriété foncière : 90 milliards pour les terres, 55 milliards pour les maisons ; les hypothèques, le capital d’exploitation du sol (matériel agricole et animaux de ferme), les meubles, objets d’art et métaux précieux ; les charges et offices ministériels ; enfin les fonds de commerce et l’outillage de la petite industrie tout entière, et des grands établissemens industriels qui ne sont pas organisés en sociétés anonymes.

Personne ne possède à lui seul un chemin de fer ; mais, si l’on voit à la cote : des compagnies de transports maritimes, fluviaux ou terrestres, des hôtels, des journaux, des docks, des magasins de nouveautés, des manufactures de fer, de gaz, de sucre, de papier, de bière, etc., il existe en outre, parmi les 210 000 patentés de l’industrie et du haut négoce, sans parler des 1 500 000 commerçans ordinaires, un très grand nombre d’armateurs, de filateurs, de maîtres de forges, de brasseurs, de fabricans et d’usiniers de toute sorte. L’ensemble de tous ces biens personnels, meubles ou immeubles, urbains ou ruraux, productifs ou non de revenus, peut être évalué à 230 milliards environ, beaucoup plus du double des 100 milliards de biens collectifs, que représentent les valeurs mobilières.

Mais, seules, ces valeurs sont à la fois tangibles comme les maisons, liquides comme les espèces, et négociables à cours certains sur un marché toujours ouvert. Aussi se sont-elles merveilleusement répandues depuis trente-cinq ans parmi les classes moyennes et populaires. Ce genre de fortune, naguère apanage du petit nombre, appartient maintenant à la foule. Au lieu d’un rentier, il y en a 400, 200 peut-être. Le plus gros actionnaire des chemins de fer français possède 30 000 titres d’une compagnie dont le capital est divisé en 525 000 actions ; sa volonté pèserait de peu de poids, opposée à celle des petits détenteurs de titres, s’il entrait en conflit avec eux. De là cette conséquence naturelle que seul désormais le grand nombre compte et que c’est sur lui et avec lui qu’il faut compter.