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écrit[1], pourront difficilement concevoir l’accueil que je reçus des hommes et des femmes de tous les mondes et de tous les états. Plus je me dérobais à leur excessive politesse, plus j’en étais accablé. » Il semble, à dire le vrai, qu’il ne s’y déroba pas longtemps et qu’il céda sans trop de peine aux avances qu’on lui prodiguait. L’anglomanie battait alors son plein ; elle se manifestait surtout, au dire d’Horace Walpole, par un triple engouement pour le whist, pour Clarisse Harlowe, enfin pour la personne de Hume. En quelque lieu qu’on fût, à la Cour, à la Comédie, au bal, à l’Opéra, on était sûr d’apercevoir la large face du diplomate improvisé, encadrée de « deux frais minois. » Comme on demandait à Chamfort s’il avait des nouvelles de ce héros du jour : « Je crois qu’il est mort, répliquait-il, je ne l’ai rencontré que trois fois aujourd’hui. » Une dame, assure lord Mareschal, « fut disgraciée à la Cour pour avoir demandé qui il était... Ce devait être quelque provinciale débarquée récemment à Paris. » Et Hume, d’après le même témoin, eût pu prendre à son compte la parole historique : « Ne pas me connaître dénonce que tu es toi-même inconnu[2] ! »

Que l’objet de ces empressemens en ait savouré la douceur, il suffit pour n’en point douter de lire les descriptions, d’une vanité candide, qu’il adressait à Robertson : « Je ne me repais ici[3] que d’ambroisie, je ne respire que de l’encens, je ne marche que sur des fleurs. Toutes, les personnes que je rencontre, les femmes surtout, croiraient manquer à un devoir de rigueur en se dispensant de me faire un long et pompeux compliment. » Et il s’étend avec une naïve complaisance sur sa visite au château de Versailles, où les fils du Dauphin, dont l’aîné a dix ans à peine, accourent vers lui pour le couvrir des louanges les plus hyperboliques, où le plus jeune, le Comte d’Artois, un enfant de cinq ans, s’efforce à balbutier, aux applaudissemens du public, « un compliment qu’on lui a fait apprendre, et qu’il n’a pas bien retenu. » S’étonnera-t-on, après de tels triomphes, que l’historien proclame Paris la ville la plus intelligente, la plus polie de l’univers, et qu’il ait eu, comme il l’avoue, « la pensée de s’y établir pour tout le reste de sa vie[4] ? »

  1. Fragmens des Mémoires de Hume.
  2. Lettre du 4 lévrier 1763. I.etters of eminent persons addressed to David Hume. Edimbourg, 1849.
  3. Lettre du 1er décembre 1763.
  4. Fragmens des Mémoires, passim.