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Sauf ce détail, les uns et les autres ne se ressemblent guère. Même le vieux nom qui désigne nos « agens » ne s’applique nullement à leur emploi, puisqu’ils ne font plus le « change, » ni des effets, ni surtout des espèces, et qu’au contraire le caractère de notre Bourse est d’être vide… d’or ou d’argent.


I

Ce que l’on y vend, ce sont les dettes des nations et les richesses des particuliers, incorporées au sol ou au sous-sol, transformées en outils multiples d’industrie, de commerce ou de banque ; mais toutes détaillées en une monnaie spéciale : celle des « titres » nominatifs ou au porteur, tantôt « actions » associées aux risques, tantôt « obligations » ou créances déterminées. Par ces valeurs, improprement appelées « mobilières, » — bien qu’elles ne le soient pas davantage que les papiers conférant la propriété d’une maison ou d’une forêt, — mais dont le mérite est d’être mobilisées par le morcellement et l’enchère quotidienne, tout Français économe peut devenir possesseur d’un millième d’usine, d’un cinq cent millième de chemin de fer, comme tout Français majeur devient détenteur d’un dix-millionième de la souveraineté nationale.

Avant nous et plus que nous, l’ancien régime avait mobilisé la terre par ses innombrables et minuscules « rentes foncières » de quelques francs ; et même, par ses « rentes constituées » qui mettaient le débiteur en actions, il avait mobilisé le crédit des personnes. Mais la supériorité des valeurs modernes, et ce qui les rend plus vraiment mobiles qu’un de ces « meubles, » tels qu’une armoire ou un fauteuil, auxquels la loi les assimile, c’est l’existence d’une halle publique où il est loisible à tous, chaque jour, de les acheter comme une livre de beurre ou une douzaine d’œufs.

Aussi bien ce marché ne chôme-t-il pas, puisque, dans le cours d’une seule année, les opérations de Bourse s’élèvent — l’impôt qui les frappe nous en révèle le chiffre — à 233 milliards de francs, dont 46 sur les rentes françaises et 187 sur l’ensemble des autres valeurs. Un total aussi formidable dépasse de beaucoup le montant de notre fortune mobilière, que l’on croirait ainsi vouée à un mouvement perpétuel et à trois ou quatre chargemens de maîtres, en l’espace de douze mois ;