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ne peut nier, — car il y a des faits qui sont indéniables, — que l’inquiétude religieuse soit un des traits dominans de notre temps.

Dans ces conditions, il était inévitable que l’on revînt à Pascal. Pascal avait été l’une des victimes de l’éclectisme. Cousin avait eu le mérite de remettre en honneur le texte original des Pensées ; mais, avec sa fougue habituelle, il s’était aussitôt empressé de dénoncer le « scepticisme » de leur auteur ; et, sans prendre garde à l’équivoque du terme, on l’en avait cru sur parole. On ne s’était pas rendu compte que Pascal n’était « sceptique » qu’à l’égard de l’éclectisme ; et, de fait, il n’était pas besoin d’être très clairvoyant pour lire à presque toutes les pages des Pensées la condamnation formelle des théories favorites de Victor Cousin. « Le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme qui y est tout à fait contraire : » voilà de ces pensées que Cousin n’a jamais pu pardonner à Pascal, et il était naturel que Pascal, le vrai Pascal, bénéficiât de la juste réaction qui s’est produite contre la pseudo-philosophie de Victor Cousin. D’autre part, à étudier comme on le fait à notre époque les questions religieuses, on ne pouvait manquer d’interroger l’homme qui, peut-être, dans les temps modernes, les a posées avec le plus de force et de profondeur. Un théologien protestant, Auguste Sabatier, n’a-t-il pas pu dire : « Une histoire des destinées des Pensées de Pascal serait l’histoire à peu près complète de la philosophie religieuse en France dans les trois derniers siècles ? » Et un philosophe catholique, l’abbé Laberthonnière, de s’écrier à son tour en parlant de Pascal : « Et qui donc a scruté comme lui, avec une pareille hardiesse, les fondemens de toutes choses, et surtout les fondemens de la religion ? » Et cela est vrai. Sur la question de la croyance, sur celle des rapports de la raison et de la foi, des différens ordres de connaissances et de certitudes, sur celle de la révélation et du surnaturel, bref, sur toutes les questions qui sont comme à la base de toute enquête de ce genre, Pascal abonde en vues qui rejoignent exactement les conclusions actuelles de la psychologie et de la philosophie religieuses. Voici, par exemple, une remarque qui ruine par avance la plupart des objections dont a vécu la critique du XVIIIe siècle et celle même du XIXe[1] : « Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles ;

  1. Voir à ce sujet le livre récent du P. Tyrrel, traduit en français par M. Augustin Léger, la Religion extérieure, Paris, Lecoffre.