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ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des choses extérieures. » On pourrait multiplier les rapprochemens et les exemples. En vérité, ce penseur mort il y a plus de deux siècles nous est plus contemporain que tel autre qui vit encore. Comment ne le lirions-nous pas avec passion ? Nulle pensée n’est plus excitatrice et plus fécondante ; nulle n’éclaire de plus vives lueurs tous les problèmes qu’elle a remués ; et nous retrouvons, en elle, sous la forme la plus précise et la plus actuelle, l’écho de toutes nos préoccupations.

C’est dire que, plus encore que le grand écrivain et le profond penseur, ce qui nous attire en lui, c’est le philosophe religieux et l’apologiste. Car le Pascal des Pensées, il ne faut pas l’oublier, est avant tout un apologiste du christianisme. C’est là que, dans son œuvre, tout devait converger ; c’est à une démonstration de la vérité de la religion que tout devait aboutir ; c’est à renouveler et à fortifier nos raisons de croire qu’il voulait travailler ; c’est à toucher des « libertins, » à convaincre des « athées, » à conquérir à son Dieu de nouvelles âmes, c’est à convertir, en un mot, qu’il voulait faire servir tous les dons qu’il sentait en lui. « Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu’il est fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet Être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa gloire. » Que parlions-nous tout à l’heure de son génie de style et de sa profondeur de pensée ! Pascal estime que tout cela « ne vaut pas une heure de peine. » Ou plutôt, si, plus que personne, il a ambitionné la gloire de bien écrire, c’est qu’il sait quelle est la valeur persuasive du style ; s’il a exprimé sur toutes sortes de questions des idées fortes et neuves, c’est que ces idées étaient un acheminement à la grande démonstration qu’il voulait tenter. Mais tout cela est pour lui un moyen, et non une fin. Son objet propre, essentiel, c’est l’étude du problème religieux et apologétique ; c’est à poser ce problème dans toute sa force et dans toute sa rigueur, c’est à en élucider toutes les données, à en éclairer tous les aspects qu’il a employé toutes les ressources de son incomparable génie. A force de sincérité et de logique, ruiner ou diminuer tout au moins les difficultés de croire, rapprocher de lui l’incrédule, et, dans la mesure où un homme peut travailler au salut de ses frères, frayer et préparer les voies à la