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passionner pour elles que ceux du temps de Pascal. Il nous faut un certain effort pour entrer pleinement dans l’état d’esprit qu’elles requièrent et qu’elles entretiennent. Les questions qu’elles agitent nous paraissent moins essentielles, moins vitales, moins actuelles qu’on ne l’a parfois prétendu. Surtout, nous sommes moins sûrs qu’autrefois que, sur le fond du débat, Pascal ait toujours raison contre ceux qu’il a si éloquemment combattus. Les problèmes ont changé d’aspect depuis vingt ans. Des travaux comme ceux de Molinier et de Joseph Bertrand, d’Henry Michel et de M. Thamin ont déplacé les points de perspective. Quand nous rencontrons ce mot de Havet : « Casuistique et morale relâchée sont choses inséparables, » nous sourions, et nous nous demandons s’il a non seulement étudié, mais simplement compris la question même qu’il tranche. Il y avait une casuistique stoïcienne ; il y a une casuistique kantienne ; et ni le stoïcisme, ni le kantisme n’ont jamais passé pour être des « morales relâchées. » Ce sont là des préjugés de « victimes du Deux-Décembre » que nous ne pouvons plus partager. Trop neuf dans ces sortes de questions, et entraîné d’ailleurs par l’esprit de parti, Pascal, malgré tout son génie, n’a pas, philosophiquement parlant, réalisé l’œuvre d’éternelle justice et d’absolue vérité dont on l’a loué imprudemment quelquefois. Et s’il n’était l’auteur que des Provinciales, qui sait si, dans un avenir assez prochain, on le lirait, — en dehors des historiens et des critiques, — beaucoup plus qu’on ne lit, de nos jours même, la Satire Ménippée ou les Pamphlets de Paul-Louis Courier ?

Mais il est, — heureusement pour lui et pour nous, — l’auteur des Pensées. Et c’est bien décidément à cette œuvre inachevée que vont les préférences, les admirations, le culte pieux des générations montantes. Et la question que nous posions tout à l’heure reparaît sous une forme nouvelle. Pourquoi aimons-nous le Pascal des Pensées ? Pourquoi ni les éditions qu’on nous en donne, ni les interprétations qu’on nous en propose n’épuisent-elles notre curiosité, ne lassent-elles notre attention, et n’usent-elles notre patience ?

Il semble que ce qui nous attire dans les Pensées, ce soit tout d’abord l’incomparable maîtrise de l’écrivain. « L’homme, a dit Pascal, est plein de besoins : il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous ; » et peut-être, dans cette saisissante et profonde