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On eût souhaité peut-être aussi que le dédoublement de ces deux pensées eût lieu à la fin, et qu’après avoir si profondément pénétré et compris Pascal, l’historien, le philosophe portât sur la personne et sur l’œuvre de Pascal un ferme et décisif jugement de fond. Enfin, n’est-il pas arrivé parfois à M. Boutroux d’interpréter avec une certaine hardiesse conjecturale les états d’âme successifs de Pascal ? Je ne suis pas absolument sûr, pour ma part, que la conversion définitive de Pascal ait été tout à fait telle que M. Boutroux l’a « reconstituée » dans le très beau, dans l’admirable chapitre qu’il a consacré à cette question. Mais ce sont là des objections de détail qui n’entament en rien la haute et rare valeur de l’ensemble. Quand on songe aux difficultés de toute sorte, — difficultés d’exécution surtout, — que rencontrait le dessein de M. Boutroux, on ne peut qu’être frappé de l’aisance avec laquelle il les a le plus souvent surmontées. Il est toujours délicat de se placer pour ainsi dire dans une âme étrangère pour en étudier et pour en revivre la vie intérieure ; et, quand cette âme est celle de Pascal, l’entreprise a de quoi décourager les plus hardis. M. Boutroux a eu cet heureux courage, et le portrait qu’il nous a tracé de son héros est au total le plus complet, le plus intime en quelque sorte, et le plus ressemblant que nous ayons encore.


III

Dans les dernières pages de son livre, M. Boutroux soulève discrètement une question qui se pose comme d’elle-même au terme de cette revue des derniers travaux relatifs à Pascal. Pourquoi a-t-on tant écrit depuis quelques années sur l’auteur des Pensées ? Pourquoi a-t-on tant de fois réédité ses œuvres ? Pourquoi, en un mot, l’étudie-t-on de nos jours avec une ferveur et une piété si singulières ?

Un fait tout d’abord est à signaler, que nous avons déjà noté au passage. Visiblement, ce qui attire nos contemporains dans l’œuvre de Pascal, ce sont les Pensées beaucoup plus que les Provinciales. Certes, les Provinciales demeurent une œuvre de tout premier ordre ; mais il est indubitable qu’elles ont un peu vieilli. En dehors de l’intérêt littéraire et historique qu’elles nous présentent toujours, et qui est considérable, il semble que les « honnêtes gens » d’aujourd’hui aient moins de raisons de se