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laissent filtrer une lueur triste ; mais surtout la garnison, peu nombreuse, se bat on désespérée contre l’ennemi du dehors, tandis que du beffroi tombe comme un gémissement la note lugubre du glas. Ce n’est pas la bannière fleurdelisée de l’Église qui flotte sur le donjon : c’est le drapeau noir du jansénisme. » Cette « vision » a de quoi séduire une imagination de romantique ; mais pourquoi faut-il que ni la lecture intégrale des Pensées, ni les témoignages contemporains ne puissent nous permettre de nous en accommoder[1] ?

Tout autre est le Pascal[2]que Adolphe Hatzfeld a publié dans la Collection des Grands Philosophes. Fin lettré, philosophe même de vocation, lexicographe de rare valeur, Hatzfeld était un esprit de haute distinction et de vaste culture, et qui peut-être, extérieurement du moins, n’a pas donné toute sa mesure ni rempli tout son mérite. Taine, qui avait été l’un de ses premiers élèves, faisait de lui le plus grand cas : « Si je réussis plus tard, lui écrivait-il un jour, ce sera grâce à vos leçons, car vous m’avez appris à travailler et à conduire mon esprit, et vous me serez utile dans l’avenir autant que dans le présent. » Et plus tard encore : « J’ai passé par bien des mains, mais mon premier maître a laissé sa marque dans ma pensée et dans mes écrits. » D’origine israélite, il passait pour avoir été converti au

  1. M. Souriau veut à tout prix que l’unique raison qui ait fait écarter par la famille de Pascal le Discours de Filleau de la Chaise soit le silence de ce dernier sur l’intention polémique de l’Apologie, et s’il regrette qu’Etienne Périer dans sa Préface « n’indique pas avec une absolue netteté toute l’idée maitresse du livre, » il y relève avec joie la discrète allusion aux jésuites, et il voit dans ces quelques lignes « le passage capital où la famille va rétablir bon gré mal gré la pensée essentielle de l’Apologie. » La conjecture est ingénieuse ; mais on voudrait savoir sur quels témoignages, sur quels textes précis elle s’appuie. C’est là, selon nous, interpréter d’une façon bien arbitraire ce mot d’une lettre de Mme Périer au médecin Vallant sur le Discours de Filleau de la Chaise, qui « ne contenait rien, déclare-t-elle, de toutes les choses que nous voulions dire, et en contenait plusieurs que nous ne voulions pas dire. » À cette interprétation de M. Souriau il nous suffira d’opposer ce fragment d’une lettre de Brienne à Mme Périer : « Vous souhaitez qu’on dise positivement que ce sont de petits morceaux de papier qu’on a trouvés mal écrits et que c’étaient les premières expressions des pensées qui lui venaient lorsqu’il méditait sur son grand ouvrage contre les athées ; que ni lui ni personne n’a repassé dessus que pour les mettre en ordre seulement ; qu’on a encore les originaux en la manière qu’on les a trouvés, etc. On dira tout cela… » — Il n’est pas ici, on le voit, question des jésuites, lesquels, assurément, eussent été visés dans l’Apologie, mais accessoirement, et non pas essentiellement ; et, conformément à la tradition, c’est donc bien « contre les athées » avant tout que Pascal se proposait de diriger tout le principal effort de son argumentation.
  2. Pascal, par Ad. Hatzfeld, 1 vol. in-8o, Paris, Alcan, 1901.