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lignes inégales, impatientes, fiévreuses. — « Certitude, certitude, sentiment. Joie. Paix. » Quand on voit, dans le Mémorial, ces mots visiblement écrits après coup d’une écriture hâtive et comme triomphale, ou encore cette simple ligne, où la plénitude heureuse du sentiment intérieur est figurée aux yeux du corps d’une manière si parlante : « Joie. Joie. Joie. Pleurs de joie, » — il semble que l’on saisisse de plus près et que l’on recueille plus directement l’écho de cette ardente et profonde parole. Ailleurs, c’est le fragment du Pari, si surchargé, si raturé, presque illisible, et dont la physionomie extérieure redouble, pour ainsi parler, le caractère si puissamment dramatique. Ailleurs encore, sur une même page, à quelques lignes du célèbre morceau du Roseau pensant, d’une haute, noble et sereine écriture, cette autre pensée, — dont Havet disait excellemment : « Cela est classique et shakspearien tout ensemble ; rien n’est plus discret et rien n’est plus fort. Pascal sans doute a rapporté cette pensée d’un cimetière ; le bruit des pelletées tombant sur la bière lui était resté au cœur…, » — et dont la forme visuelle elle-même a quelque chose de poignant et de sinistre : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais. » Pascal avait d’abord écrit : pour l’éternité ; et, comme si le mot jamais sonnait plus inexorable, il l’a substitué à l’autre d’un énergique trait de plume. Et enfin, voici cet étonnant Mystère de Jésus, que Faugère nous a fait connaître le premier, si éloquent, si émouvant d’aspect et de vision. Les phrases sont séparées les unes des autres par des traits horizontaux, comme pour mieux marquer les divers momens de la mystique méditation, et, si l’on peut ainsi dire, l’intime succession des strophes lyriques. Les lignes montent et s’élancent comme une prière. Dans le premier feuillet, se détachant sur un espace vide, comme pour mieux exprimer aux regards l’isolement et l’abandon de Jésus, d’une écriture appuyée et douloureuse, cette phrase qui attire et qui retient l’attention : « Il souffre cette peine et cet abandon dans l’horreur de la nuit. » Plus loin, l’écriture se fait toute fine et menue, et comme tout intérieure, pour traduire la miséricordieuse et ineffable parole : « Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé. — J’ai pensé à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi… » Et quel élan aussi dans la forme de l’admirable reprise : « Seigneur, je vous donne tout ! »