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craindre qu’il n’y eût une dissonance trop visible et trop choquante entre Pascal et son éditeur. Cette crainte, que l’exemple de Havet et de Molinier n’était pas pour diminuer, s’est heureusement trouvée presque entièrement vaine. « On est tenté, écrit M. Brunschvicg, de regretter que Havet, critique si clairvoyant des Remarques de Voltaire, se soit laissé entraîner par sa passion de la vérité jusqu’à se faire le juge et trop souvent le contradicteur de Pascal. » Il serait difficile d’adresser, — même sous cette forme si discrète, — pareil reproche à M. Brunschvicg. Si çà et là, en de brefs et rares passages, — car il s’échappe rarement, et sa pensée comme son style sont la fluidité et la prudence mêmes, — si çà et là, il laisse percer sa tendance intime, s’il a aussi quelque pente à mettre en un relief peut-être excessif le jansénisme des Pensées, et surtout à exiler bien arbitrairement Pascal sur « son rocher solitaire, » à l’y laisser « sans postérité philosophique » et « sans postérité religieuse ; » il faut reconnaître qu’en général cet « historien de Pascal qui ne veut être qu’historien » a rempli sa mission de manière à satisfaire les plus difficiles. Son édition[1], qu’il a dédiée à M. Ludovic Halévy, est à bien des égards un modèle d’information exacte et précise, d’intelligence historique et critique, de goût littéraire.

Nous avons indiqué les mérites du classement qu’a opéré M. Brunschvicg après une révision très attentive et une lecture nouvelle du manuscrit des Pensées. Mais M. Brunschvicg ne s’en est pas tenu là. Il nous a d’abord donné en note toutes les variantes que ses prédécesseurs et lui ont successivement

  1. Pensées de Blaise Pascal, nouvelle édition collationnée sur le manuscrit autographe et publiée avec une introduction et des notes, par Léon Brunschvicg, 3 vol. in-8-, Paris, Hachette, 1904.