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le manuscrit autographe[1], et publiées par lui pour la première fois ; quelques autres ont été complétées. D’autre part, il a prouvé d’une manière irréfutable que, dans leur zèle parfois intempestif de restitution ou de classement, tous ses prédécesseurs avaient morcelé et dispersé un peu partout des fragmens qui, manifestement, formaient un tout continu. Il lui a suffi pour cela de les lire et de les publier à la suite les uns des autres, selon les indications mêmes du manuscrit. Tel développement par exemple, a été mutilé en neuf tronçons par Havet : encore ces neuf tronçons n’ont-ils été répartis qu’en deux articles différens ; mais tel autre morceau, fragmenté en six tronçons par Faugère, en sept par Molinier, a fourni à Havet neuf pensées différentes qui ont été dispersées en cinq articles divers[2]. Que dire d’un pareil émiettement que rien ne justifie ? Et le désordre même du cahier autographe ne serait-il pas préférable ?

Un dernier éditeur, M. Léon Brunschvicg, ne l’a point pensé. Il lui a paru que, dans ce désordre même, il n’était pas impossible d’introduire sans arbitraire un certain ordre. Il ne pouvait être question pour lui de « reconstituer » à nouveau, et dogmatiquement, le plan de l’Apologie, — ces prétentions assez naïves des anciens éditeurs semblent bien avoir décidément fait leur temps ; — d’un autre côté, — « et sur ce point, déclare avec raison M. Brunschvicg, la publication de M. Michaut a fait une lumière décisive, » — il était impossible de s’en tenir au classement, au morcellement, pour mieux dire, de l’édition Havet. Il restait donc à tenter un nouveau classement qui, fondé sur une étude plus approfondie des manuscrits, se bornerait à ne pas briser l’unité des fragmens écrits par Pascal, à les rassembler suivant les divers sujets auxquels ils paraissent se rattacher. Il s’agissait « de rechercher de quelle façon ils se rapprochaient les uns des autres par l’identité de leur contenu, de quelle façon ils se liaient entre eux pour offrir une continuité logique. »

  1. Voici peut-être la plus intéressante de ces pensées inédites :
    « Toute condition et même les martyrs ont à craindre, par l’Écriture.
    « La peine du purgatoire la plus grande est l’incertitude du jugement. Deus absconditus. »
    Cette pensée avait été retrouvée après coup par Faugère qui se proposait de la reproduire dans sa seconde édition.
  2. Havet, sans prévenir du reste son lecteur, n’a pas craint de mutiler le Mystère de Jésus, et d’en détacher, pour les placer ailleurs, cinq pensées qui en font, sur le manuscrit, partie intégrante.