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contemporaine non pas seulement du christianisme, mais de la morale même, qu’elle a donc, historiquement et moralement, humainement même pourrions-nous dire, sa raison d’être, et que si, dans le détail, Pascal a été, le plus souvent, d’une grande exactitude littérale, si même, psychologiquement, l’attitude qu’il a prise s’explique fort bien, il n’en est pas moins vrai que, sur le fond des choses, la raison et la justice ne sont pas toujours de son côté. On ne saurait, selon nous, être plus impartial et parler avec plus de bon sens ; et cette Préface est à lire, — surtout après celle que Havet a mise en tête de son édition des Provinciales.

Le problème bibliographique des Provinciales est, somme toute, assez simple. Il n’en va pas de même de celui des Pensées. Les Provinciales sont un ouvrage achevé et publié par Pascal lui-même ; les Pensées sont des fragmens posthumes, des notes souvent inachevées, des matériaux épars. Il s’agit donc de savoir quel est le meilleur ordre à suivre pour les publier. Il s’agit, sans faire violence à la pensée de Pascal, de la rendre aussi accessible, aussi intelligible que possible aux lecteurs modernes.

En réalité, deux méthodes sont possibles pour éditer les Pensées. Ou bien l’on essaiera de retrouver le plan que voulait suivre Pascal dans son Apologie, et l’on disposera les divers fragmens suivant l’ordre présumé de l’auteur. Ou bien, de propos délibéré, on renoncera à restituer le plan de Pascal, et l’on se contentera de classer les Pensées suivant leurs « affinités électives » sous certaines rubriques générales[1]. Ce dernier procédé, qu’avait adopté Port-Royal, a été repris par Bossut dans l’édition qu’il a donnée en 1779, et le classement de Bossut, tout imparfait qu’il fût, s’est imposé à la plupart des éditeurs qui n’ont pas prétendu reconstituer le plan de l’Apologie. C’est l’arrangement de Bossut que nous retrouvons dans l’édition Havet, et l’édition Havet jouit encore aujourd’hui d’une telle autorité que la disposition qu’elle consacre n’a sans doute pas cessé d’être en honneur et de recruter des adeptes.

  1. On notera que ce procédé se ramène en fait, et dans une certaine mesure, presque toujours au précédent. Il faut bien disposer les différentes sections suivant un certain ordre, et même, à l’intérieur de chaque section, il faut bien arranger les Pensées suivant une progression déterminée. Et l’on est ainsi presque insensiblement amené à figurer aux yeux, avec plus ou moins de rigueur, l’ordre général qu’on suppose avoir été celui de l’Apologie pascalienne. Cela est très frappant, sinon dans le classement adopté par Bossut, du moins dans le classement de Port-Royal, et dans celui de M. Brunschvicg dont nous parlerons tout à l’heure. Et dans ces limites d’ailleurs, rien n’est plus légitime.