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qui invoqueraient la crainte de manquer de munitions pour éviter de recommencer le combat.

Enfin, soit par ordre supérieur, soit spontanément et par juste instinct militaire, les feux, au début des engagemens, sont concentrés sur les têtes de colonne ou, suivant le cas, sur les serre-files et sur les bâtimens qui portent des officiers généraux. Et tout cela est classique ; seulement la précision des coups et leur rapidité donne à l’application de ces vieilles méthodes une puissance inattendue el démoralisante pour l’adversaire.

Ce dernier tire assez mal, nous l’avons dit, et c’est que ses pointeurs ne sont plus maîtres des secrets de leur art : la marine russe n’en formait pas assez !… Mais c’est aussi que le matériel est souvent défectueux, plus souvent encore mal connu et mal entretenu ; que beaucoup d’obus qui atteignent le but n’explosent pas, — fusées mal faites ou mal réglées, sans doute, plutôt que mauvais explosifs ; — qu’une discipline du feu insuffisante ne prévient pas l’inutile dépense des munitions, si bien que la première division commence à tirer sur l’ennemi à peine sorti de la brume à la distance excessive de 8 000 mètres, où les coups, surtout quand on roule, sont aussi incertains comme justesse qu’inefficaces sur les cuirassemens, et que, par suite, la division Nebogatof, le matin du 28, a épuisé ses soutes[1]

Si du canon nous passons à la cuirasse, de l’arme offensive à l’arme défensive, nous sommes obligés de constater tout de suite que les Russes ont été aussi mal servis par celle-ci qu’ils se sont mal servis de celle-là : « Vos obus perçaient toutes nos cuirasses… » dit l’amiral Nebogatof à l’amiral Togo. Qu’est-ce à dire, et quelles cuirasses étaient-ce là ? « Pas possible ! » répond le commandant en chef japonais, à cette déclaration : et nous partageons tous son étonnement. Quel jour, si cela est vrai, des faits de ce genre jettent-ils sur l’administration et l’organisation d’une marine !…

Mais ici encore, il convient d’attendre des témoignages plus authentiques et des constatations plus positives. L’examen minutieux des coques du Nicolas-Ier et de l’Orel, devenus des vaisseaux japonais, donnera des renseignemens précieux sur la résistance à la perforation des blindages d’épaisseurs diverses.

  1. D’après l’analyse du rapport Rodjestvensky, ceci ne s’appliquerait pas à l’Amiral-Apraxine et à l’Amiral-Seniavine.