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que, chez ceux-ci, de coup d’œil, d’initiative et d’énergie. Nous voyons, de ce côté encore, des formations simples, souples, des mouvemens élémentaires où la tactique géométrique n’a rien à prétendre ; des divisions qui savent agir avec indépendance et avec ensemble à la fois, qui se séparent ou se groupent, se détachent ou se soudent, soit au signal du commandant en chef, soit spontanément, et juste quand il le faut, les officiers généraux en sous-ordre étant pénétrés du rôle qu’ils ont à jouer dans la formidable partie dont toutes les phases ont été discutées en commun. Aucun trouble, aucun désordre dans cette armée malgré des circonstances de temps défavorables ; chacun sait rester à son poste, ou y revenir le plus tôt possible, en dépit de la brume ; au pis aller, on combat toujours, on attaque toujours, assuré de bien faire[1] : c’est une machine bien montée, mais une machine intelligente ou chaque rouage vit de sa vie propre, agit par lui-même et tend de toutes ses forces, de toute son énergie au succès du grand et complexe organisme dont il fait partie…

De l’autre côté, une flotte lente, alourdie encore de « services à l’arrière, » dont la défense la préoccupe fâcheusement à l’heure décisive[2], fatiguée et énervée du reste, manquant de confiance en elle-même, sinon de résignation[3] ; un agrégat fragile de groupes hétérogènes et mal fondus, dont la valeur militaire, semble-t-il, varie singulièrement suivant que le commandant en chef, âme bien trempée dans un corps affaibli, a pu les tenir plus ou moins longtemps et les façonner dans ses mains. Point de service des renseignemens, ni d’éclairage stratégique, faute de croiseurs cuirassés modernes ; pour le même motif, point de détachemens, qui, au surplus, se fussent peut-être compromis, hors de la vue du chef, faute d’un jugement militaire exercé. Point de manœuvres sur le champ de bataille, que des changemens de direction où l’on se suit passivement les uns les

  1. « Si vous ne distinguez pas mes signaux, dit Nelson à ses capitaines, prêtez le travers à un vaisseau ennemi ; vous serez toujours sûrs d’être à votre poste. »
  2. Outre les bâtimens légers, deux croiseurs cuirassés, le Dimitri-Donskoï et le Vladimir-Monomakh, s’emploient, à plusieurs reprises (rapport Liniévich), à cette inutile besogne. L’escadre tout entière et au moins la division Nebogatof, dit l’amiral Enquist, tourne même à un certain moment (mais lequel ?…) autour des navires auxiliaires…
  3. « Le Tsar nous envoie à la destruction, » disaient les officiers russes à leurs camarades français, à Madagascar. Et ils souriaient tristement.