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l’enveloppement final dont les Japonais se sont fait un système. C’est la vitesse qui lui eût permis de déjouer les tentatives des Russes pour accabler ses détachemens et pour rompre le cercle où il les enserrait.

Mais cette faculté si précieuse de la vitesse, il faut encore savoir la mettre en jeu ; de ces admirables instrumens que sont des navires rapides en même temps que bien armés, il faut savoir jouer… Engins essentiellement offensifs, ils veulent des tempéramens offensifs, hardis, prompts à l’attaque comme à la riposte, mettant au service d’un jugement militaire exercé l’instinct de l’initiative, l’impatience des formules étroites, le dédain, sinon le mépris des paralysantes responsabilités. Or ce sont là justement les caractères du tempérament japonais, tel qu’il apparaît aujourd’hui aux yeux de l’observateur impartial, et aussi bien à terre que sur mer, aussi bien à Moukden, à Liao-Yang, qu’à Tsoushima et au Yalou.

Fâcheux contraste, en regard de cette énergie audacieuse et toujours active, que la passivité russe ! Certes, cette passivité ne suppose pas moins de courage, et la tactique défensive, qui en est la manifestation à la guerre, peut souvent — nous nous en sommes aperçus nous-mêmes à Eylau et à Borodino — amener de bons résultats[1]. Malheureusement, à la mer, il n’y a point d’abris, point de couverts, et il est fort rare que « le terrain » se prête à épargner à l’un des deux partis le choc immédiat des projectiles. Une tactique défensive ne saurait donc trouver d’appui que dans la force de résistance des vaisseaux eux-mêmes, dans l’invulnérabilité au moins relative de leurs œuvres vives, de leurs armes, de leur personnel. Cette invulnérabilité était-elle acquise à la flotte russe ? Les faits ont répondu déjà.

Quoi qu’il en soit, la bataille de Tsoushima nous montre, d’un côté, une force navale admirablement préparée à agir sur un champ d’action choisi ; un chef prévoyant, fort bien renseigné du reste, qui applique froidement, au milieu des péripéties variées et toujours un peu déconcertantes d’une longue suite d’engagemens, un plan judicieux et approprié aux circonstances, plan qui résulte d’un système tactique déjà mis à l’épreuve, mais dont l’exécution magistrale révèle chez lui autant de sang-froid, de liberté d’esprit et aussi de confiance dans ses lieutenans

  1. Mais point la victoire immédiate, du moins. « Celui qui se borne à se défendre, dit Napoléon, court des risques sans en faire courir à son adversaire. »