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admettons aussi, — et rien de tout cela n’est trop ambitieux, — que le chef russe eût pu constituer dans son armée navale une escadre légère indépendante, à la fois solide et rapide[1], l’un de ces détachemens, au moins, courait grand risque d’être intercepté dans la matinée du 27, battu, détruit peut-être, avant d’avoir pu se réunir au gros. Il est vrai que, dans l’incertitude où nous restons encore sur les détails de la préparation de la bataille chez les Japonais, nous ne pouvons affirmer que leur amiral n’ait pas pris ses mesures pour parer à cet inconvénient de son dispositif d’ensemble ; inconvénient, d’ailleurs, dont ce qu’il savait de la composition de la flotte de la Baltique et de la vitesse de ses unités principales diminuait évidemment la gravité.

La vitesse, disons-nous… C’était bien là, en effet, dans le jeu serré qui se jouait à Tsoushima, l’un des meilleurs atouts des Japonais, de même que l’une des plus mauvaises cartes des Russes, aussi mauvaise que l’infériorité de leurs canonniers, c’était la lenteur de la plupart de leurs unités. Non que tous les bâtimens de l’amiral Togo fussent rapides ; il s’en fallait. Mais, d’une part, aux moins agiles (aux trois Matsoushima, par exemple, navires déjà anciens) il avait donné un rôle qui n’exigeait pas une marche supérieure : suivre l’arrière-garde ennemie et l’attaquer au bon moment ; de l’autre, tous ses navires avaient eu le temps, depuis la chute de Port-Arthur, de passer au bassin pour nettoyer leurs carènes, de refaire leurs faisceaux tabulaires de chaudières et de condenseurs ; de sorte que, prise dans son ensemble, son armée navale devait donner trois ou quatre nœuds de plus que celle de son adversaire.

La vitesse !… Il ne faut pas se le dissimuler, c’était une erreur grave que de la classer exclusivement dans les facultés stratégiques, et l’on ne sait comment certains ont pu contester que ce fût aussi une faculté tactique. En tout cas, la preuve en est faite encore une fois, et d’une manière décisive, après qu’elle l’avait été, il y a dix ans déjà, au Yalou. C’est la vitesse qui avait permis à l’amiral Ito d’envelopper l’escadre chinoise ; c’est la vitesse qui a permis à l’amiral Togo, son élève, ces concentrations et ces dislocations opportunes, ces attaques brusques sur les flancs et en queue de l’adversaire, couronnées par

  1. Il est fâcheux pour les Russes que les négociations pour l’acquisition des croiseurs cuirassés argentins n’aient pu aboutir. Deux de ces bâtimens et les croiseurs de l’amiral Enquist auraient satisfait au desideratum que nous indiquons.