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rencontre que celle qui fait figurer au nombre des vaisseaux russes coulés, le 28 mai 1905, le cuirassé d’escadre qui rappelait la catastrophe où s’engloutit définitivement la puissance maritime ottomane, ainsi que le croiseur cuirassé qui portait le nom du glorieux vainqueur des Mongols à la bataille du Don. Qui sait !… Peut-être un jour un Tsoushima, un Togo ou un Oyama viendront-ils sombrer dans une mer européenne, qu’ils couvriront de débris ensanglantés ! La fortune des races humaines connaîtra sans doute toujours les mêmes lois et les mêmes vicissitudes.

Mais laissons là ces réflexions : les observations de l’ordre exclusivement militaire sont assez nombreuses et assez intéressantes, quand on étudie la bataille du 27 mai, pour retenir toute notre attention.

Cette bataille, tout d’abord, outre qu’elle prouve, comme nous le disions plus haut, la profonde et immédiate répercussion des faits stratégiques sur les faits tactiques, montre aussi l’influence du « terrain, » même dans un combat naval, sur le développement et l’issue de la lutte. Et sans doute il y a des batailles qui se sont déroulées en pleine mer, au large ; mais il y en a très peu, et encore est-il certain qu’en y regardant de près, on trouverait dans la conduite générale de l’engagement des traces sensibles de la réaction inévitable, quoique lointaine, de la côte sur la mer. En somme, le 27 mai, il y a un champ de bataille, vaste assurément, mais nettement défini et circonscrit aussi bien par les accidens naturels que par les mouvemens habiles de l’un des adversaires, favorisés justement par ces accidens naturels ; la flotte russe est venue donner dans une embuscade où tout semble préparé de longue main[1], pour que la phase de l’enveloppement tactique, si funeste à l’enveloppé, succède rapidement à celle de l’enveloppement stratégique, souvent dangereuse pour l’enveloppeur. Supposons en effet le ciel plus dégagé et l’amiral Rodjestvensky mieux renseigné sur les positions respectives des détachemens japonais, le 26 mai ;

  1. On est allé jusqu’à prétendre que les Japonais avaient semé des mines sous-marines dans le détroit de Tsoushima, et même qu’ils les avaient mouillées suivant certains alignemens dont ils se réservaient la connaissance. Et alors les Russes se fussent trouvés réellement sur un « terrain préparé, » machiné, peut-on dire. Mais il en est de ces mines comme des sous-marins à qui l’on donnait tout d’abord un rôle brillant dans la destruction de la flotte russe. Notons aussi que des survivans de l’Osliabya affirmaient que leur navire avait essuyé le feu des batteries de Tsoushima. Cela parait aujourd’hui bien improbable.