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d’interrogation comme jalons des questions qu’il y aura à débattre plus tard, quand les acteurs principaux de la bataille de Tsoushima auront fait connaître ou laissé voir les mobiles auxquels ils ont obéi.


II

Au nombre des plus intéressantes de ces questions auxquelles nos lumières actuelles ne permettent pas de donner une réponse positive, il faut compter celles-ci, qui se présentent immédiatement à l’esprit du critique militaire :

Les Russes devaient-ils rechercher le combat avant d’avoir atteint Vladivostock ? Quel était à cet égard le sentiment réel de leur commandant en chef, et les mesures qu’il a prises correspondaient-elles à ce sentiment ?

En théorie, oui, les Russes devaient rechercher le combat, puisqu’ils mettaient en jeu une armée navale au moins égale, suivant leur propre estime, — ou du moins celle de leur Amirauté, — à la flotte de l’adversaire : marcher à l’ennemi, attaquer et s’efforcer de détruire sa force principale, tel est en effet, sur mer comme sur terre, et tel a été dans tous les temps le premier et essentiel principe de la stratégie.

En pratique, non, ce n’était pas le cas d’appliquer un principe qui, évidemment, ne peut être absolu, et, loin de rechercher le combat, il fallait au contraire tout mettre en œuvre pour gagner Vladivostock sans coup férir.

Pourquoi donc ? — Parce que, d’abord, en dépit des illusions du gouvernement russe, les forces confiées à l’amiral Rodjestvensky ne valaient pas celles que dirigeait l’amiral Togo. Nous reviendrons plus loin, avec le détail nécessaire, sur les facteurs matériels de ces forces respectives, à la date du 27 mai ; mais, dès maintenant, un bref examen des navires mis en ligne des deux côtés suffit à révéler l’infériorité des Russes.

Ces derniers avaient en effet 8 cuirassés d’escadre, dont 5 modernes et 3 anciens, 3 petits gardes-côtes (du type Amiral-Apraxine), 3 croiseurs cuirassés très anciens, 6 croiseurs protégés et 3 croiseurs auxiliaires, enfin 8 contre-torpilleurs, tandis que les Japonais leur opposaient : 4 grands et formidables cuirassés (15 000 tonnes), tout récens, 8 croiseurs cuirassés, tout neufs aussi et très puissans, 3 demi-cuirassés, si l’on peut