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dimanche, à bord, la plupart des passagers de l’entrepont prient ou se recueillent. Une vieille femme, voyant quelqu’un passer près d’elle avec un échiquier sous le bras, s’étonne que « le vaisseau ne s’engloutisse pas. » Hommes et femmes assistent au service divin, et, « suivant la vraie manière écossaise, » en reviennent fort peu satisfaits de l’officiant. Pieux et durs, toujours plus portés à condamner le prochain qu’à s’accuser soi-même, tels nous apparaissent les émigrans écossais du Devonia. Beaucoup d’entre eux aiment à boire, et s’en cachent, et s’indignent de l’ivrognerie de leurs compagnons. Ils sont honnêtes, en général, mais d’une honnêteté maussade et sans chaleur qui a peine à nous plaire. Quelques-uns remplacent leur ferveur protestante de jadis par une incrédulité féroce, où se retrouve le même élément d’exaltation théologique. Et tous, chrétiens ou athées, ils sont profondément convaincus de la nécessité d’une révolution pour amener sur terre le règne de la justice. J’aurais à citer vingt figures diverses, dont chacune nous présente, sous un aspect particulier, ces traits généraux du tempérament écossais. Mais peut-être n’y a-t-il aucun de ces portraits qui soit, à ce point de vue, plus instructif et en même temps plus original que celui d’un certain Mackay ; et il faut au moins que j’essaie de traduire celui-là.

C’était un petit Écossais, déjà un peu courbé comme s’il portait sur ses épaules les élémens d’un syndicat, et avec un regard dont l’expression était gâtée par l’exiguïté de ses yeux. Intellectuellement, un esprit orné de dons très au-dessus de la moyenne. Il n’y avait guère de sujet dont il ne sût parler avec sens, et même avec une pointe de génie ; débitant ses phrases lentement, en homme qui jouissait de son ton sentencieux. Ingénieur, de son métier, Mackay croyait à la perfectibilité infinie de toutes les machines, sauf pourtant la machine humaine, qu’il définissait dédaigneusement un composé de viande pourrie et de gaz malfaisans. Et tel était son appétit pour les menus faits inutiles, que je ne puis vraiment le comparer qu’au goût des sauvages pour la verroterie.

Avec toutes ces aptitudes, le pauvre Mackay, à quarante ans passés, s’en allait maintenant vers un pays nouveau, sans perspective d’avenir, sans argent, presque sans espérance. « S’il ne s’agit que de moi, disait-il, le bateau peut bien couler ! Je n’ai rien à perdre ni à attendre ! » Comme le bon petit homme dont j’ai déjà parlé, il était ce qu’on appelle « une victime de la bouteille. » Mais Mackay, lui, n’était pas d’humeur à révéler au monde sa faiblesse ; il mettait toute la faute de sa non-réussite sur la corruption des capitalistes et des hommes d’État. En vérité, d’ailleurs, ce n’était pas l’eau-de-vie qui l’avait ruiné : il était ruiné d’avance pour toute autre œuvre humaine que la conversation. Ses yeux étaient scellés par un matérialisme à bon marché et de seconde main. Il se refusait à rien voir dans le monde que l’argent et les machines à vapeur. Le mot de bonheur n’avait