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et de l’œuvre de Bernardin un progrès décisif : celui de Mme Arvède Barine, exquis par l’esprit et l’ironie, comme par la finesse et la pénétration morale, et celui de M. Fernand Maury, à qui revient le mérite d’avoir, le premier, recouru aux papiers inédits de Bernardin de Saint-Pierre, conservés à la Bibliothèque du Havre. A son tour, M. SouTiau s’est fait l’explorateur de ce monceau et de ce fouillis de papiers inédits ; il a passé cinq années de sa vie à inventorier ces liasses dont la plupart n’avaient jamais été visitées ; il n’a quitté la besogne qu’après avoir tout compulsé, déchiffré et classé. De ce travail, devant lequel avaient jusqu’ici reculé les plus intrépides, il est sorti avec la conviction que tout ce qui a été écrit sur Bernardin, n’ayant pas été contrôlé par la connaissance de ces précieux papiers, doit être considéré comme nul et non avenu. Nous devons oublier tout ce que nous croyions savoir sur Bernardin, ignorer tous les divers Bernardins avec qui la légende ou la critique nous avaient familiarisés, pour n’en plus connaître qu’un, le vrai, le seul : Bernardin de Saint-Pierre d’après ses manuscrits[1]. Ce Bernardin-là n’est sans doute pas le bénisseur des anciennes chromolithographies ; mais M. Souriau tient qu’il ne mérite pas davantage les sévérités dont il est de mode depuis quelque temps de l’accabler. Et il ne nous cache pas que son dessein est de laver la mémoire de son auteur d’un certain nombre de médisances ou de calomnies, répandues par des écrivains aussi mal avertis que malintentionnés.

Hâtons-nous d’abord de reconnaître tout ce que le volume de M. Souriau contient de curieuses trouvailles et de piquantes découvertes. On en jugera par quelques exemples. Aimé Martin a conté tout au long l’histoire d’un projet de mariage entre Bernardin de Saint-Pierre et la fille de son ami Taubenheim. Bernardin, d’après lui, repoussa l’offre qui lui était faite, mais il la repoussa la mort dans l’âme, et ce fut le nom de cette jeune fille qu’il donna plus tard à l’héroïne de son fameux roman. Cette Virginie avait tant de grâces ! « Sa figure ingénue formait un contraste aimable avec la vivacité qui animait tous ses mouvemens. On l’entendait toujours chanter, on la voyait toujours courir ; sa voix était fraîche, sa démarche légère ; tout l’égayait, la touchait, la charmait. Vive et folâtre, elle conservait à quinze ans les grâces et la naïveté de l’enfance. » Devant cette profusion de détails

  1. Bernardin de Saint-Pierre d’après ses manuscrits, par M. Maurice Souriau, professeur à ("Université de Caen, 1 vol. in-12 (Lecène). — Amour de philosophe ; Bernardin de Saint-Pierre et Félicité Didot, par M. Jean Ruinât de Gournier, 1 vol. in-12 Hachette).