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Devant un si fécond et si profond spectacle,
Je resterai les doigts disjoints, le cœur épars,
Sentant que le bonheur me vient de toute part,
Que chaque grain de terre a fait le doux miracle
D’être un peu de pistil, de corolle et de nard ;

— Ainsi, même en t’aimant autant que je vous aime.
Même en ayant, depuis son enfance voulu,
D’un chant délicieux, secret, puissant, goulu,
Consacrer ta douceur et ta grâce suprême,
On ne peut exprimer combien tu nous a plu !

On ne peut pas avoir d’assez vive mémoire,
O mon cher mois de mai, que vous ne nous disiez ;
« Je suis encor plus beau ! Voyez mes cerisiers,
Voyez mes verts îlots qui flottent sur la Loire,
Entendez les oiseaux de mon brûlant gosier. »

Et je le vois, un clair, un frais, un chaud vertige
Fait plier le branchage et ses bourgeons naïfs ;
Une vapeur d’extase émane des massifs.
L’on sent irradier de la plus humble tige
Quelque parfum hardi, insistant, incisif...

Puisque mes mots chargés de pollens et d’arômes.
Puisque mes chants toujours troublés jusques aux pleurs,
O mon printemps divin, n’auront pas le bonheur
De pouvoir égaler la saveur de tes baumes,
Je m’arrête et soupire au milieu de tes fleurs,

Je te dédie alors ma cinquième année,
Le temps où mes chapeaux étaient clairs comme vous,
Où mon front était haut comme vos lilas doux.
Où mes jeux s’endormaient sur votre herbe fanée,
Où mon cœur infini battait à petits coups.

Le temps où pressentant ce que serait ma vie,
J’honorais ma tristesse et ma faible beauté,
Et, les deux bras croisés sur ma robe d’été.
J’écoutais, effrayée, amoureuse et ravie.
Le bruit que fait l’immense et vague volupté.