Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et nous le sentions assez bien engagé pour désirer le poursuivre.

Ce furent les derniers coups de canon de cette longue période de guerres navales. J’avais vu tirer les premiers étant mousse à bord de la Gentille, le 1er juin 1794, et je crois pouvoir attester qu’en ces vingt années de lutte, la marine française a montré assez d’énergie et de vaillance pour faire oublier les fautes et les revers qui ont été son partage.

Je quittai la Dryade au mois de mai 1814, et fus envoyé à Rochefort sur la frégate l’Amphitrite, qui devait me mener à Pondichéry, ‘puis en février 1815, je reçus le commandement de la gabare l’Infatigable à destination de Terre-Neuve. J’étais avec ce navire en rade de l’île d’Aix, quand les événemens des Cent Jours me firent rappeler à Rochefort. Mais la marine ne devait pas prendre part à cette dernière lutte de Napoléon, et je passai ces trois mois à transporter des bois de construction de Bayonne à Rochefort. Ces voyages étaient dangereux et pénibles. Il fallait, pour éviter les croisières anglaises, ranger de près cette côte inhospitalière, qui n’offre pas un abri contre les grands vents du large et les mers démontées du golfe de Gascogne. J’étais obligé de veiller nuit et jour pendant les traversées, et de prendre pour me tenir éveillé des quantités de café noir, d’où est née l’irritation d’estomac qui, s’aggravant par la suite, m’a obligé d’interrompre ma carrière.

L’amiral de Bonnefoux, préfet maritime, ayant constaté avec quelque raison que je déployais plus d’activité que les braves capitaines de Rochefort chargés du même service, et qui, entre deux ; traversées, se donnaient quelques semaines de repos, amarrés dans l’Adour le long des Allées marines, fit armer en guerre ma gabare et me renvoya à Rayonne prendre le commandement d’une flottille. Je reçus à l’entrée des passes de Maumusson la chasse d’une frégate et d’une corvette anglaises, qui m’obligèrent à me réfugier dans la Gironde, et c’est là que j’appris la chute définitive de Napoléon et le retour du roi. Cela me valut, la guerre étant terminée, de reprendre mes fastidieux transports pendant le reste de l’année 1815. Au commencement de 1816, l’Infatigable avait été désignée de nouveau pour la station de Terre-Neuve, mais l’état de délabrement où elle se trouvait détermina le port de Brest à me faire passer sur la Salamandre, d’où je fus de nouveau transbordé sur la corvette la Loire à destination du Sénégal.