Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande route pour les citoyens d’un même pays. » Défense d’enclore, et procès à la moindre tentative : la masse des paysans intente une action « comme étant privés ainsi du droit de secondes herbes. » Et le même droit s’étend aux terres labourables après la moisson enlevée, aux jachères, friches, landes et marais. Chacun peut seulement clôturer les alentours de sa maison, son jardin, son parc ; en certaines provinces le laboureur a droit à (c une épargne de prairie » voisine de sa maison, 35 ares environ. Sauf ces exceptions, le sol reste banal pendant la moitié de l’année, pendant toute l’année, s’il s’agit de terres au repos. Préjugé si puissant, si vivace, qu’on en venait à interdire de remettre en culture « une terre qui avait été une fois en nature de pré. » Et même, d’après certaines coutumes, le labourage ne devait pas se renouveler tous les ans, une culture intensive ne laissant pas à l’herbe le temps de pousser dans les guérets, et frustrant toute la paroisse.

L’ambition d’acquérir a ses dangers ; le paysan escompte la nature, et celle-ci le trompe ; au lieu des bonnes récoltes, les mauvaises surviennent, il a acheté très cher, il lutte, finit souvent par liquider, et tout le faire-valoir suffit à peine à rembourser ce qui n’en avait procuré qu’une partie. Mais avant de confier à la terre ses économies, il les dépose à la Caisse d’épargne, ou bien encore, il les garde chez lui, cachées dans un mur, dans l’endroit le plus secret, enfouies parfois en terre : et personne ne connaît son secret, et il redirait volontiers comme certain personnage : « Si ma chemise savait ce que ma tête délibère, je brûlerais aussitôt ma chemise. » Emile Chevallier assistait, vers 1860, à cette scène typique : un rural, acheteur de quarante mille francs d’immeubles, arrivant chez son notaire avec une charrette contenant la somme en écus d’argent de cinq francs, tout noircis par le sol où ils avaient longtemps séjourné : il fallut les laver pour les convertir en une monnaie moins encombrante. Que de fois le mot du duc de Morny n’a-t-il pas été cité : « On ne sait pas ce qu’il y a d’argent en France dans les vieux bas ! » Un notaire de Péronne m’a raconté une vente dans un village des environs, où les habitans, semblaient peu fortunés. Il s’agissait d’une grosse propriété qui, dépecée par lots, avait produit environ deux cent mille francs. Comme le notaire manifestait quelque inquiétude pour le paiement, un bourgeois de la localité lui dit en souriant : « Vous ne tarderez