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Il nous fallait donner ce morceau tout au long, — si long qu’il puisse paraître à la lecture, — parce que c’est ici le document capital. C’est là que publiquement, solennellement, parlant comme président du Conseil, au moment du vote de l’ordre du jour qui allait clore une interpellation, peut-être provoquée, sur la question romaine[1], Cavour, pour la première fois, a lancé la fameuse phrase : Libera Chiesa in libero Stato. Cette phrase, la tirait-il de son propre fonds, ou se bornait-il à lui faire un sort ? Jaillissait-elle de source, ou bien était-elle amenée d’autre part ? Il nous serait d’autant plus aisé de croire à la sincérité du grand homme d’État piémontais, à cette loyauté, à cette franchise qu’il invoque à trois ou quatre reprises, — et s’il y insiste à ce point, c’est qu’il sent qu’on n’y croit pas assez ; — nous y croirions d’autant plus volontiers que nous pourrions croire à la spontanéité de la formule ou de l’expression même. Or, dans sa Deuxième lettre à M. le comte de Cavour, — lettre d’ailleurs très vive et par endroits violente, — Montalembert en revendique la paternité, tout en désavouant l’usage que Cavour en veut faire :


Monsieur le comte, écrit-il, dans vos discours du 27 mars et du 9 avril, vous me mettez en cause. Dans le premier, vous annoncez qu’une fois à Rome vous proclamerez ce grand principe : l’Église libre dans l’État libre. Vous me faites ainsi l’honneur imprévu d’emprunter la formule dont je me suis servi en vous écrivant il y a quelques mois, et vous résumez par elle ce que vous promettez au monde catholique et à la Papauté en échange de leur capitale profanée et de leur patrimoine volé. Dans le second, vous me citez parmi les précurseurs du libéralisme que vous souhaitez aux catholiques[2]. Vous me donnez ainsi le droit de vous répondre ; vous m’imposez même le devoir de vous arracher des mains une arme que vous m’avez

  1. Ordre du jour de M. Bon-Compagni, amendé par M. Regnoli : « La Chamore, après avoir entendu les déclarations du Ministère, confiante qu’en assurant la dignité, l’honneur et l’indépendance du Pontife et la pleine liberté de l’Église, aura lieu de concert avec la France l’application du principe de non-intervention, et que Rome, capitale acclamée par l’opinion nationale, sera réunie à l’Italie, passe à l’ordre du jour. » M. Bon-Compagni avait écrit : « sera rendue, resa ». M. Regnoli substitua à ce mot le mot : « congiunta, réunie. » Discorsi di Cavour, XI. 337, 349.
  2. Voici le passage du discours du 9 avril 1861 auquel Montalembert fait allusion : « Je suis d’avis, dit Cavour au Sénat, que beaucoup et beaucoup de membres du clergé français désirent ardemment voir s’accomplir, se réaliser le programme qui, dans les premiers temps qui suivirent 1830, avait été publié par l’illustre abbé Lamennais et par ses amis le Père Lacordaire et le comte de Montalembert. » — Discorsi pronunziati nei Senato del Regno il 9 aprile 1861 in occasione della discussione sulle interpellanze del senatore Vacca intorno alle cose di Roma. Primo discorso. — Discorsi parlamentari del conte Camillo di Cavour, XI, 358.