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d’alimens et de sommeil plutôt que de nuire au moindre individu. Avec votre faveur, je suis le rajah et le lama de ces contrées et je gouverne un grand nombre de sujets.

J’ai été informé que vous étiez en guerre avec le rajah du Boutan qui a commis le crime d’attaquer vos frontières ; il a reçu le châtiment qu’il méritait. Il est aussi clair que le jour que votre armée a été victorieuse et que, si vous l’aviez voulu, vous auriez pu exterminer le rajah dans l’espace de deux jours, car il n’avait aucun moyen de vous résister. Mais je me charge d’intercéder pour lui et de vous représenter que le rajah est dépendant du Dalaï-lama, qui règne en ce pays avec un pouvoir absolu et dont je gouverne les États pendant le temps de sa minorité. Si vous persistiez à vouloir désoler le pays du rajah, vous irriteriez contre vous et le Dalaï-lama et ses sujets. J’ai réprimandé le rajah sur sa conduite passée et l’ai exhorté à vous être désormais soumis en toutes choses. Traitez-le avec compassion et clémence. Pour moi, je ne suis qu’un pauvre faquir. La coutume de mes pareils est de porter un rosaire dans les mains, et de prier pour le bien-être du genre humain, et spécialement pour la paix et le bonheur des habitans de ces contrées. En ce moment, la tête découverte, je vous conjure de ne plus faire la guerre au rajah. En accédant à ma demande, vous me donnerez la plus grande marque de faveur et d’amitié. »

L’arrivée de l’ambassade thibétaine et le message du régent du Thibet furent considérés à Calcutta comme un gros événement. Jusqu’alors aucune relation directe n’avait existé entre le Bengale et le Thibet. La Compagnie des Indes était fort peu renseignée sur ce pays et sur ses limites précises. Où commençaient, où finissaient ces dernières ? En ce qui concerne le Boutan, la dépendance de cette contrée vis-à-vis du Thibet se trouvait être pour les Anglais une révélation. On ignorait également en quels points de son territoire le Thibet était limitrophe de la Chine. Tout ce qu’on savait, c’est qu’il touchait aux provinces occidentales de cet empire et qu’une communauté d’intérêts commerciaux, politiques et religieux, unissait plus ou moins étroitement les deux pays.

Warren Hastings, le destinataire de la lettre écrite par le rajah du Thibet, interrogea avidement les ambassadeurs thibétains qui lui apprirent que leur pays était gouverné actuellement par le Taschi-lama ou supérieur du grand monastère de Tashi-