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soumis au Dalaï-lama. C’est ainsi qu’au cours du xixe siècle, ils ont conquis la province thibétaine du Sikkim, enlevé à Lhassa le Petit Thibet et le Moyen Thibet, et placé sous leur influence le Boutan, le Cachemire et le Népâl. Ils ont su de plus acquérir et cultiver depuis un siècle l’amitié du Taschi-lama, en prévision d’un changement de personne à la tête du gouvernement de Lhassa. En vain, effrayés des progrès continus de la puissance indo-britannique, les Thibétains ont voulu tenir leur pays hermétiquement clos, en barricader l’entrée, et en interdire l’accès à tout étranger. Les barrières ont dû tomber et les rapports naturels entre nations ont dû être rétablis. À la dernière heure, il est vrai, le gouvernement de Lhassa, sous l’impulsion d’un Dalaï-lama énergique, qui n’a pas voulu se résigner au rôle d’idole joué par ses prédécesseurs, a paru vouloir faire sortir le Thibet de l’immobilité séculaire dans laquelle il se figeait, et cherché un appui en nouant des relations avec la Russie, rivale de l’Angleterre en Asie centrale. Cette tentative n’a fait que précipiter les événemens. En effet, tant que les Thibétains fermaient également leur porte à tout le monde, ils pouvaient être considérés comme les protecteurs volontaires de la frontière septentrionale de l’Inde ; du moment qu’ils cessaient de jouer ce rôle et permettaient l’accès de leur pays à des étrangers, tout en continuant à en défendre l’entrée aux Anglais, ils s’exposaient à être regardés par ces derniers comme des voisins incommodes et dangereux. D’autre part, la Russie, séparée de Lhassa par plusieurs milliers de kilomètres de déserts et de montagnes en partie infranchissables, s’est trouvée mal placée pour s’opposer à l’intervention anglaise, et des événemens d’une autre gravité qui se déroulaient aux confins de la Mandchourie et de la Corée lui ont ôté une partie de sa liberté d’action dans les affaires du Thibet. La Chine elle-même, sortie amoindrie de l’insurrection des Boxers, et dont l’attention est reportée vers la Mandchourie, n’a pu ou n’a voulu d’une manière efficace, défendre son vassal et tributaire, le Dalaï-lama ; mais du moins elle a su faire habilement la part du feu. Comprenant très bien la nature précaire de sa domination sur le royaume de Lhassa, menacée par les Anglais surtout depuis la conquête du Sikkim, en 1888, elle a enlevé, au cours de ces vingt dernières années, nombre de provinces et de territoires au Dalaï-lama et annexé à la Chine toute la partie orientale du Thibet, de manière à constituer une marche chinoise