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comme entre honnêtes gens, il suffirait d’un peu de bonne volonté pour Unir toujours par s’entendre ; et que quiconque enfin ne serait pas prêt à faire preuve de cette bonne volonté, » c’est qu’il en aurait des raisons... inavouables.

C’est à la fois contre ce « mensonge » — car, je veux le dire encore une fois aux pacifistes, ils mentent, s’ils nous prêtent, à nous qui ne pensons pas comme eux, des motifs ou des mobiles moins désintéressés que les leurs ; — et c’est contre cette chimère qu’il est utile, et urgent même de protester. « Une nation, — je crois que c’est Renan qui l’a dit, — est une création militaire ; » et quand on parle de « supprimer la guerre, » c’est donc les nations comme telles que l’on se propose de détruire. Quel avantage y voit-on ? Si toutes les nations de l’Europe n’en faisaient plus qu’une, qui croira que la civilisation y gagnât ? et comment cela ? L’histoire est là pour le prouver : il y a un minimum nécessaire d’ordre et de sécurité qui n’est compatible ni avec l’extension territoriale infinie des frontières, ni avec la multiplication illimitée de ceux qui vivent entre ces frontières. Le nombre et l’étendue deviennent des élémens de désordre. Et, aux guerres nationales, si l’on substitue des guerres de classes, quel bénéfice en résultera-t-il ?

Convenons donc qu’étant donné la nature humaine, son histoire, les conditions de son développement, les causes de conflits qui s’engendrent fatalement de la rencontre et du choc des instincts, des passions ou des intérêts, l’impossibilité d’occuper à deux et en même temps la même place ou de posséder le même objet, le rêve de la paix universelle est aussi chimérique et aussi fallacieux que les espérances des médecins qui se flattent, — si du moins il en est, — de soustraire notre espèce à la condition de la mort. C’est tout ce que veulent dire ceux qui voient dans la guerre une « loi du monde ; » et d’ailleurs ils n’en ont jamais tiré cette conclusion que nous ne dussions pas travailler à nous libérer, dans la mesure où nous le pouvons, de la dure contrainte de cette loi ! De ce que les lois du monde nous sont imposées par la nature ou par Dieu, personne n’a jamais conclu que nous dussions aveuglément nous y soumettre, et n’opposer à leur impassibilité que l’inertie du découragement. Que l’on travaille donc à diminuer les causes de divisions parmi les hommes, et que l’on s’efforce, autant qu’on le pourra, de résoudre pacifiquement des conflits qui jadis ne se dénouaient que dans le sang, il