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Et pour cette raison dernière, qui résume et domine toutes les autres, la voix que nous venons d’entendre en eux, c’est la voix primitive et peut-être immortelle du génie latin.

Latins aussi, prêtons l’oreille à cette voix salutaire. Nous avons besoin aujourd’hui de mélodie et de monodie. Dans un art qui se décompose, afin de le resserrer et de le raffermir, il faut réintégrer l’élément individuel et le corps simple. Le chant grégorien nous offre à cet effet son exemple et son secours. Hors de l’église même, la musique en pourrait éprouver les bienfaits. Sa vertu va plus loin qu’on ne pense. Elle produit, à force de sobriété, des effets où la polyphonie, pour avoir abusé de la complication, finira par ne plus atteindre. J’eus l’honneur, un dimanche, d’être l’hôte des religieux de Saint-Anselme. Le déjeuner s’achevait, une cloche ordonna le silence. Quelques secondes s’étaient écoulées, quand les moines entonnèrent la prière d’actions de grâces, tout d’un coup et tout d’une voix, de leur voix unique faite de leurs cent voix. Il n’y avait pas là de mélodie, une psalmodie à peine, et, sur une seule note, longuement tenue, comme une coulée de pure lumière. A la fin, par degrés diatoniques, le robuste unisson descendit d’une tierce, lentement, et brusquement s’éteignit...

Ce fut tout, mais ce fut assez. J’aurai toujours dans l’oreille, et dans l’âme, l’admirable cadence. J’ignorais, avant de l’entendre, mais je sais maintenant, pour jamais, ce que la démarche sonore la plus simple peut avoir de noblesse et de puissance, d’humaine et de vibrante beauté.


CAMILLE BELLAIGUE.