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violence, à l’affreux tapage de l’orchestre, il faudrait dire aussi : les excès.

Il n’y a rien dans la partition, furieusement et vainement romantique, de Ratcliff, Amica n’est qu’une reproduction affaiblie, une redite prétentieuse et vide de Cavalleria, qui décidément reste le chef-d’œuvre — relatif — de M. Mascagni. Entre ces deux tristes pendans, l’Amico Fritz lui-même nous a paru supportable et, pour un rien, il nous aurait charmé. Oui, le contresens dramatique perpétuel qu’est la partition, la complète indifférence de la musique à l’égard des choses et des gens, des caractères et des lieux, la banalité des formules mélodiques et la grossièreté presque foraine de l’orchestration, nous avons failli tout pardonner, tout oublier encore une fois pour un rien, pour quelques riens : pour un accent de vérité simple et touchante, surpris çà et là dans un bout de récitatif ou de dialogue ; pour le jaillissement spontané d’une idée facile, mais heureuse, pour une phrase de ténor : « Tu sei bella, stagione primaverile ! » oh ! bien médiocre et tout extérieure, mais si sincère, si frémissante et si chaude, lancée d’une si jeune, si pure et si belle voix, qu’on y sentait vibrer tous les rayons du printemps.

J’ai toujours à l’esprit, quand j’entends une mélodie italienne en Italie, ces mots de M. Paul Bourget dans son ingénieux Paradoxe sur la musique : « Allez donc jouer ces airs-là dans le Nord ; autant vaudrait y planter des orangers. » Il faut écouter là-bas certains airs comme on y respire les orangers en fleur. Alors, mais alors seulement, de fines et parfois de profondes harmonies se créent ou se rétablissent. Dans l’ordre même de la musique, Rome possède et nous révèle, si nous savons l’interroger, le secret de rapports et de contrastes qui, loin d’elle, nous demeureraient mystérieux. La poésie de ses matins et de ses soirs, le charme de chacune de ses heures, est fait de sons autant que de clarté.

Connaissez-vous, presque appuyée au flanc du Palatin, une vieille église de briques en forme de rotonde ? On lit à la porte cette brève dédicace : « Theodoro militi. » Songeant, hélas ! à nos soldats, nous y entrâmes un dimanche. Elle était presque vide. L’autel illuminé portait, comme une étrange et blanche architecture de bois, un double étage de rinceaux et de volutes à jour. De chaque côté se tenait un moine à genoux, la tête et tout le corps perdu sous le capuchon et les plis de sa robe d’ivoire. Un paysan, le front contre le pavé, priait aussi, mais tout haut, et des pleurs, quelquefois un sanglot, se mêlaient à sa prière. Soudain, par la porte ouverte, une musique lointaine arriva.