Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

électrodes soient devenues suffisantes pour triompher de l’affinité chimique des deux ions à l’intérieur de la molécule, et ultérieurement de leur attraction électrique. Ce n’est donc que lorsque le courant aurait atteint une certaine limite minima que l’ionisation devrait commencer, et que l’électricité devrait passer. Et d’autre part, dès que cette valeur serait atteinte, il semble que l’électrolyse devrait marcher avec rapidité et violence.

Or, l’expérience contredit cette conclusion. L’électrolyse, et la formation d’ions, se manifestent déjà avec un courant très faible et elles grandissent avec son intensité. Un physicien, Buff, a obtenu une électrolyse appréciable d’une solution acide avec des courans tellement faibles qu’il fallait prolonger leur action pendant plusieurs mois pour obtenir 1 centimètre cube de mélange détonant.

Clausius, dès 1857, avait signalé cette contradiction entre le fait et la théorie. Il concluait que la théorie, prise dans toute sa rigueur, n’était pas exacte ; qu’il n’était pas vrai qu’avant le passage du courant, tous les ions fussent combinés de manière à former des molécules complètes. Au contraire, il y avait par avance un petit nombre d’ions chimiquement séparés, chimiquement libres. Buff et Soret d’abord, puis surtout Lippmann en 1875, ont manifesté directement cette présence d’ions libres, obéissant à l’attraction d’un bâton de résine, dans les solutions d’électrolyte. Ostwald et Nernst en 1889 ont réussi à faire la même constatation.

Une solution quelconque contient donc, d’après cela, un mélange de molécules complètes et de molécules dissociées en ions. Dès que les électrodes sont plongées dans la solution, le courant le plus faible suffit pour attirer ces ions préexistants aux électrodes : il y a transport d’électricité ; le courant passe. Le courant, en grandissant, accroît le nombre de ces élémens dissociés, en proportion de l’accroissement de la quantité d’électricité.


Clausius se contentait d’affirmer l’existence d’un petit nombre d’ions disséminés dans toute solution antérieurement à toute tentative d’électrolyse. Arrhenius est allé plus loin. Ce n’est plus une dissociation faible portant sur un petit nombre de molécules qu’il a assignée aux solutions de sels, d’acides et de bases : c’est une dissociation forte, une ionisation notable. Un « grand nombre » de molécules peuvent être dissociées en ions. Dans les solutions très étendues, « toutes » les molécules sont ionisées. Une solution très étendue ne contient donc pas le corps que nous croyons y exister, que nous y