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si les armées s’improvisent, ce que j’ai peine à croire, la marine ne vaut que par ses cadres et son organisation.

Le lendemain matin, les vaisseaux français et espagnols se trouvèrent fort avancés dans l’Ouest, à l’exception du Formidable qui, sous une mâture de fortune, avec des huniers pour basses-voiles et des perroquets pour huniers, cherchait à doubler les rochers de Conil pour entrer dans Cadix. Il fut attaqué par le vaisseau anglais le Venerable qui avait toute sa mâture haute, les perroquets croisés, et par la frégate la Thames. L’amiral Linois ayant quitté son vaisseau pour faire la traversée sur la Sabina, ce fut son capitaine de pavillon, le brave commandant Troude, qui eut l’honneur de ce combat. Il se fit abandonner de ses deux assaillans, dont l’un, le Vénérable, ayant perdu une partie de sa mâture, alla toucher sur les bancs du Conil. Ce fut malheureusement à marée basse, ce qui lui permit de se renflouer quelques heures après avec le secours de la Thames. Les amiraux Linois et Moreno, qui étaient à six milles dans l’Ouest avec cinq vaisseaux et trois frégates, auraient pu vers midi, la brise s’étant élevée, laisser porter sur le Venerable, et l’enlever ou le détruire. Le reste de l’escadre anglaise souventée n’aurait pu à ce moment doubler le cap Trafalgar. Ils n’en firent rien et ne songèrent qu’à rentrer à Cadix.

La population de cette ville était tout entière sur les murs, applaudissant notre entrée et surtout celle du Formidable, qui venait d’ajouter un nouveau lustre à la gloire conquise à Algésiras, mais cette joie fut bientôt changée en un deuil profond. Presque toutes les familles avaient perdu quelqu’un des leurs, et cette douleur était accrue par l’humiliation que causait à l’amour-propre national cette catastrophe sans précédent dans l’histoire.


Mis GICQUEL DES TOUCHES.