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était à son comble à Cadix : on y préparait des fêtes pour nous recevoir ; et beaucoup des jeunes gens des meilleures familles du pays s’étaient embarqués comme volontaires sur les vaisseaux envoyés à notre rencontre, et spécialement sur deux trois-ponts, le San Carlos et le San Hermenegild, qui étaient la gloire de cette escadre. Les Espagnols arrivèrent le 9 juillet à Algésiras, et, grâce à l’activité déployée par chacun, nous fûmes en état d’appareiller le 12 ; mais, par suite du calme, nous ne parvînmes à vider la baie qu’à la fin du jour. Notre ordre de marche était assez singulier : la frégate espagnole la Sabina marchait en tête, ayant à son bord les deux amiraux, et flanquée à droite et à gauche de deux autres frégates. Sur une deuxième ligne marchaient de front les trois vaisseaux français combattans d’Algésiras, et enfin, en troisième ligne, les cinq vaisseaux espagnols et le Saint-Antoine. Les deux trois-ponts San Carlos et San Hermenegild naviguaient aux deux extrémités de cette ligne.

Au moment où nous quittions la baie, cinq vaisseaux anglais appareillaient de Gibraltar et, poussés par une jolie brise d’Est, se maintenaient en ligne de file au vent à nous. Quand la nuit fut tombée, ils se guidèrent sur le feu de hune que la Sabina avait arboré pour conduire l’escadre combinée. Cette escadre naviguait en assez grand désordre, et à la faveur des ténèbres le vaisseau anglais le Superb vint se mêler aux vaisseaux espagnols. Quand il se trouva en avoir un de chaque bord, il ouvrit le feu sur chacun de ses adversaires, puis se laissa culer en cessant de tirer. Il arriva que les deux vaisseaux ainsi canonnés étaient les trois-ponts espagnols qui se trouvaient alors fort loin de leur poste. Les équipages, affolés par cette attaque soudaine, ne s’aperçurent pas de la ruse du Superb, et croyant lui répondre, se mirent à se tirer des bordées. Bientôt, dans le désordre de ce combat de nuit, le feu se déclara à bord du San Carlos, qui vint en grand sur bâbord dans le but d’aborder son adversaire. Il aborda en effet le San Hermenegild, et en un instant lui communiqua le feu dont il était dévoré. Les flammes montaient jusqu’au ciel, illuminant les escadres et le détroit tout entier d’une horrible clarté. Je sommeillais sur le pont quand je fus éveillé par les cris des hommes de quart ; la barre fut mise au vent, et nous sautâmes tous dans les haubans pour éteindre les flammèches qui nous arrivaient de cet immense foyer. Nous étions très près de ces malheureux navires, et voyions les Espagnols